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pour se soulever sur un coude : — Anima mia ! Aussi bien, ajouta-t-il après une courte pause, et la larme à l’œil, c’est par amour pour elle que j’ai pensé mourir.

— Comment cela? Mais d’abord quelle maladie vous a conduit ici?

— Une fluxion de poitrine, caro signore, et une belle, je vous en réponds. Il y a eu dimanche quinze jours, pour voir quelques minutes Pichichia, j’ai couru à Manafrasca pendant que mes chevaux se reposaient d’un voyage à Volterra... Un voyage pénible, signore. — Il avait encore l’haleine courte : il s’arrêta pour respirer. — Je revins encore à pied,... c’était fête, et le soir... toutes les voitures venaient de Florence, et pas une n’y allait.

— C’est vous qui avez annoncé votre présence à Pichichia en chantant io te voglio ben’ assai, n’est-il pas vrai?

— Justement. Serait-ce votre seigneurie que j’ai rencontrée dans le sentier du casino Neri?

— Plus que rencontré, repris-je en souriant.

— Ah! que vos’ signoria me pardonne! Il y avait une éternité que je n’avais vu Pichichia. J’étais comme un homme ivre.

— C’est tout simple... Mais votre maladie?

— Donc, caro signore, je reviens en ville, éreinté et mouillé de sueur comme un barbero. Il était nuit... A peine arrivé, voici le patron qui m’apostrophe : « Pepe, d’où viens-tu comme ça? Attelle, et vite. Un signor anglais attend la voiture à San-Donato. » Je me dépêche, je monte sur le siège, et en route! Le froid me saisit. La nuit suivante, une fièvre de cheval, un point de côté... Je croyais étouffer... La Miséricorde m’a apporté ici. On m’a saigné à blanc... Je croyais mourir... Et la pauvre Pichichia?

— Sauf le chagrin et l’inquiétude de ne pas vous voir, elle va à merveille, car elle ne se doute pas de l’état dans lequel vous êtes. Je vais lui mander de vos nouvelles.

Vos’ signoria lui dira que j’irai bientôt à Manafrasca. Qui sait quand je pourrai reprendre mon fouet? ajouta-t-il d’une voix sourde après une pause. Et mes pauvres chevaux, dans quel état vais-je les retrouver?

Puis, revenant, après ce souvenir donné à ses bêtes, à son idée première, il reprit avec un soupir : — Voilà une convalescence qui va me coûter bien des florins. Cela n’avance pas l’époque de notre mariage.

— Ne songez qu’à votre guérison pour le moment, répliquai-je en lui tendant la main. Je vois que je vous fatiguerais en demeurant plus longtemps près de vous. Au revoir.

J’eus un instant la pensée d’aller moi-même à Manafrasca, mais j’avais accepté la veille une invitation à dîner chez la marquise.