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sont rangées une ou deux charrues primitives; une treggia[1], pour la montagne; pour la plaine un char à roues excessivement basses, avec de hauts flancs de paille tressée; puis la charrette toscane, c’est-à-dire un réseau de cordes suspendu dans un cadre en bois entre deux grandes roues. Qui a vu le podere de Manafrasca connaît tous ceux du val d’Arno supérieur, car ils se ressemblent tous.

Celui dont j’entreprenais l’inventaire était exploité par une famille d’honnêtes métayers. Elle se compose de dix personnes : le père, la mère, une fille et six fils, plus une bru, car l’aîné est déjà marié. En Toscane, les mezzajoli (métayers) forment une classe à part. Les bourgs sont habiles par quelques petits propriétaires, par des gens qui trafiquent des produits du sol, par les charrons, les charpentiers, les forgerons, par les artisans qui exercent les métiers nécessaires à la campagne. Dans les villages sont groupés les prolétaires des champs, les pigionali, les journaliers qui louent leurs bras soit aux propriétaires, soit aux mezzajoli. Quant à ceux-ci, ils vivent dispersés, chacun dans sa métairie, et la même métairie est souvent cultivée par la même famille, de père en fils, depuis des centaines d’années. A l’en croire, c’était le cas de Giuseppe Cardoni, qui se donnait ainsi des ancêtres connus remontant jusqu’à l’époque des croisades. C’est un homme poli, obligeant, hospitalier, loyal, religieux. Malgré ses soixante ans, il est encore très vert : taille haute, forte constitution, traits réguliers, physionomie ouverte et franche, cheveux gris, mais épais; un chapeau de feutre noir, une veste ronde et une culotte de gros drap brun, des bas gris, des souliers à talon fendu par derrière, afin de rendre le mouvement du pied plus libre; les jours de fête, un gilet de drap rouge.

De son propre aveu, sa femme a cinquante-deux ans. Elle est des environs d’Arezzo, de cette partie du Casentino où, sans que personne en sache la raison, les femmes sont blondes, ont les yeux bleus, portent un petit corset découvert comme en Suisse, et montrent l’épaulette de leur chemise en même temps qu’elles en laissent flotter les manches. Quittez la campagne, entrez en ville, et dans les rues d’Arezzo vous ne rencontrez plus que des femmes brunes, d’un type méridional bien accusé. L’Italie est la patrie de la variété en toutes choses. Non-seulement chaque capitale a un caractère bien tranché, mais chaque ville, chaque vallée a pour ainsi dire son cachet particulier, son dialecte, son aspect physique, ses mœurs, ses usages. De son pays d’origine, la massaja (fermière) de Manafrasca n’avait retenu que la couleur dorée de ses cheveux, un teint moins foncé que celui de ses voisines, et l’emploi du , qui

  1. Traîneau. On en fait usage sur les pentes rapides et dépourvues de bons chemins.