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priétaires, elles ne tarderont pis à rentrer dans le courant de la circulation, suivant le vœu de l’intérêt public. Dans le cas contraire, la grande propriété, convenablement exploitée, devient une force pour la colonie : elle attire des bras et emploie des capitaux considérables, occupe et satisfait des intelligences élevées, instrumens du progrès colonial; elle est le piédestal des familles puissantes et riches, qui sont un fort utile contre-poids à la pression de l’état et de ses agens, et permettent à l’agriculture de marcher de front avec l’industrie et le commerce. La colonie est assez défendue par l’esprit et les lois du temps contre l’aristocratie territoriale pour ne pas craindre de lui demander les services que peuvent rendre ses lumières et ses influences.

Si l’état eût écouté les conseils de certains députés ou écrivains, sa sollicitude ne se fût point bornée à fixer l’emplacement des villages, à installer des colons, à leur assigner et un lot de ville et un lot des champs avec la symétrique uniformité qu’il y a mise. C’est encore, à leur sens, trop de liberté et de confusion. Il eût soigneusement prévenu le mélange des populations, en réservant chaque village aux seuls habitans d’un même département, qu’il eût transportés dans leur patrie nouvelle avec toutes leurs habitudes, comme ces grands arbres qu’on transplante dans un sol pareil à celui où ils ont poussé, avec le terrain qui entoure leurs racines. Pour accomplir ces projets paternels, l’état aurait invité les quatre-vingt-six conseils-généraux de France à voter une modeste allocation de 3 à 4,000 francs par famille émigrante, pour avoir la gloire de fonder en Afrique un village qui eût porté au-delà des mers le nom du chef-lieu. Les pauvres gens devant avoir naturellement la préférence, la misère eût été déracinée en France du même coup qui créait la richesse en Algérie! Le plan était trop administratif pour ne pas sourire au gouvernement, qui a en effet adressé quelques circulaires aux conseils-généraux afin de sonder leurs intentions. Aucun n’a daigné agréer un projet qui se traduisait en lourdes dépenses pour les budgets de département. En le repoussant au nom de l’économie, ces conseils ont fait en outre un acte de bon sens et de sagesse dont l’Algérie doit leur être profondément reconnaissante. Rien n’est plus contraire à l’intérêt de toute colonie, que la prétention d’isoler les populations d’après leur origine; leur intime union peut seule faire une nation homogène. Lord Elgin, qui, avant de s’illustrer en Chine et au Japon, avait habilement gouverné le Canada, constate dans ses rapports que le bien-être matériel et moral des populations émigrantes est bien plus élevé dans les groupes où les races diverses d’Europe se sont fondues que là où elles ont vécu isolées. Et encore en Amérique le classement se fait-il