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les mêmes bases qu’en France : elle fit quelque bien, moins pourtant que ne s’en promettaient les auteurs, car elle laissa subsister intact le fatal système des concessions, un des pires rouages du mécanisme algérien, qui absorbe toute force vive, l’amortit, l’anéantit. Aux fruits l’arbre se juge. Au 31 décembre 1854, dernière date des informations officielles, l’administration avait concédé à dix-sept mille solliciteurs une étendue totale de 194,000 hectares, soit le tiers à peu près d’un moyen département de France. Vingt-quatre ans de travaux herculéens pour un aussi pauvre résultat! Pendant ce temps, des milliers de demandes affluaient et s’entassaient dans les cartons de toutes les administrations, et des milliers d’autres renonçaient à se présenter, désespérant de se faire accepter. Tel est en effet un premier et grave grief contre les concessions : par elles, le mouvement de la colonisation se règle sur l’activité des bureaux, elle-même limitée par bien des causes, — le temps, le zèle, les crédits, l’insuffisance du personnel. Les demandes les mieux accueillies ne mettent guère moins de six mois, d’ordinaire un ou deux ans, quelquefois cinq ou six, avant de recevoir une solution. L’administration marche avec sa lenteur traditionnelle, pendant que les émigrans consument dans les villes et sur les avenues de tous les bureaux la meilleure part de leurs épargnes. La concession obtenue est provisoire, subordonnée à l’accomplissement de conditions inexécutables, qui livrent le possesseur à la discrétion des autorités locales, investies d’un pouvoir arbitraire. Le caractère provisoire de la propriété détruit ce qui en est l’essence même, la sécurité, le crédit, la liberté d’action, l’indépendance personnelle. Le titre définitif ne s’accorde qu’à la longue, après des années entières d’instances : en tels villages fondés depuis dix ans et plus, les colons ne l’ont pas encore obtenu. Sur les 194,000 hectares concédés au 31 décembre 1854, 31,000 seulement étaient affranchis des clauses résolutoires, c’est-à-dire moins d’un sixième. Une colonie où la propriété rurale flotte ainsi entre le droit et le fait, entre une possession octroyée et une dépossession arbitraire, n’est pas solidement assise. La faveur et les sollicitations y amollissent les caractères, si elles ne les pervertissent, et l’énergie de l’homme s’emploie moins à conquérir une fortune honorable par son travail qu’à mériter les regards bienveillans et les dons généreux de l’autorité.

Les concessions doivent faire au plus tôt place aux ventes, en Algérie comme aux États-Unis, comme dans les colonies anglaises, comme en tout pays où le gouvernement veut sérieusement coloniser. La vente seule établit l’égalité de chances entre les prétendans. A leur bonne volonté elle n’oppose aucune lenteur; elle les dispense de justifications dérisoires et d’onéreux engagemens; elle donne des