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erreur d’hygiène plutôt que faute de morale, qui fait mal à propos croire à des difficultés particulières d’acclimatation pour eux. La transition du nord au sud serait plus sensible encore aux peuples de l’Europe septentrionale, et doit faire peu regretter qu’ils se tiennent à distance.

Les nations que nous venons d’énumérer peuvent suffire au recrutement, en y ajoutant le Portugal, dont les habitans unissent les qualités des Espagnols à des mœurs un peu plus sociables. Dans quelle mesure convient-il de faire appel à ces diverses nations, et quelle chance a-t-on d’attirer leurs émigrans vers le nord de l’Afrique ? Essayons de l’indiquer.

À écouter certains conseils, l’Algérie ne devrait appeler que des Français, pour mieux assurer la prépondérance des mœurs et des lois de la mère-patrie, de son culte et de sa langue, et même la consommation des produits nationaux. Ce conseil est un contre-sens : il méconnaît le trait caractéristique du génie colonisateur de la France, qui est l’aptitude à conduire et assouplir sous une main bienveillante les élémens les plus hétérogènes. C’est là sa vertu comme peuple, vertu supérieure à la fierté anglaise pour le ralliement des races et des sociétés les plus divergentes. Par une conséquence de sa qualité de vainqueur et de sa sociabilité, le Français se plaît médiocrement à défricher dans la solitude les terres et les forêts vierges, ce qui est la joie de l’Espagnol en Afrique comme de l’Anglo-Saxon en Amérique. Le priver d’auxiliaires qui acceptent volontiers sa direction et son salaire, autant vaudrait refuser des soldats à un officier. D’autres raisons invitent à ne pas compter que sur lui. Par diverses causes telles que l’humeur peu voyageuse, la douceur du climat et de la vie, surtout la propriété du sol et toutes les industries facilement accessibles, les Français émigrent peu. Tandis que, depuis dix ans, l’Angleterre a compté jusqu’à 2, 750, 000 émigrans et l’Allemagne 1,200,000, il n’en est parti de France que 200, 000, une moyenne de 20,000 par an, nombre qui semble même baisser. L’émigration à l’étranger se répartit presque exclusivement entre les Basques et les Alsaciens : les premiers se rendent sur les bords de la Plata, où s’est formée depuis près d’un demi-siècle une colonie française nombreuse et industrieuse ; les seconds se disséminent un peu par toute l’Amérique, principalement aux États-Unis. Tout insignifiante que paraisse la sortie de 20,000 individus par an, largement compensée d’ailleurs par l’arrivée des étrangers, l’émigration est si peu populaire auprès de la classe moyenne, que ce mouvement excite déjà de sérieuses inquiétudes et motive des plaintes. Dans les Basses-Pyrénées, tous les ans, le conseil-général et le préfet s’épuisent en expédiens et en protestations pour conjurer ce qu’ils appellent la dépopulation du