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ghouat ; les Kabyles, descendus des sommets de la Kabylie : tous laborieux et honnêtes émigrans, dans le genre des Auvergnats et des Savoyards, qui quittent le pays natal avec esprit de retour, et finissent, à force de labeur, d’épargne et de probité, par amasser un petit pécule qui leur permet de revenir un jour au village paternel acheter un fusil et une femme, un jardin et une maison, un cheval ou un chameau, images séduisantes qui soutiennent leur courage et constituent leur idéal de bonheur. Nous ne parlons que pour les nommer des ouvriers domiciliés, tels que les Juifs et les Maures, qui s’adonnent à tous les métiers où l’adresse a plus de part que la force ; ils travaillent surtout pour les indigènes.

Dans les campagnes se retrouvent les Kabyles, qui arrivent par bandes au commencement de la saison sèche, pour ne revenir au village qu’après la moisson terminée et la ceinture garnie, lis se rencontrent dans les champs avec les Arabes, entendus comme eux aux labours, aux semailles, aux irrigations, à la garde et à la coupe des récoltes : ceux-ci, moins endurcis à la vie de fatigue et élevés dans la vie pastorale, se font volontiers les bergers des troupeaux des Européens. En toute occasion, la colonisation recrute parmi les uns et les autres, comme hommes de peine ou journaliers, des auxiliaires fort appréciés, car ils ne manquent ni d’intelligence ni d’habileté manuelle, et se montrent dociles à la direction qui leur est donnée. Dans les concours de charrues, ils disputent quelquefois les prix aux laboureurs européens.

Arabes et Kabyles sont également utiles comme producteurs pour leur propre compte. Quoique moins actifs que les Européens, ils sont si nombreux que le chiffre total de leur production ne manque pas d’importance. Grâce à eux, les marchés sont approvisionnés de grains, de fruits et d’huiles, de bestiaux et de laine, sans compter une multitude de denrées et marchandises dont le rôle est secondaire. Ils alimentent ainsi l’armée, les villes, les villages ; ils fournissent au commerce ses principales matières d’échange. Aussi est-on en droit de juger sévèrement, au nom de l’économie politique comme de l’humanité, tout système de refoulement et d’extermination qui nous eût affamés nous-mêmes en nous privant du concours des indigènes. Par ces violences, la conquête comme la colonisation auraient été rendues plus difficiles. Les écrivains se trompent qui voient dans la présence d’une population à demi civilisée un obstacle à nos progrès, et félicitent les États-Unis de n’avoir affaire qu’à des sauvages. Presque aussi dangereux comme ennemis, les sauvages sont bien moins utiles dans la paix ; ils ne travaillent, ni ne produisent, ni ne consomment. Les Arabes ne sont pas sans doute de grands consommateurs, ni partant de bons con-