Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gions montueuses au-dessous de 1,000 ou 1,200 mètres d’altitude se prêteront à un pareil progrès.

Pour traduire en un langage familier à l’économie politique et rurale la fertilité de l’Algérie, nous n’invoquerons pas les exemples merveilleux de l’antiquité ni des temps modernes cités dans la plupart des livres : les faits courans et les moyennes nous suffiront. Dans les années médiocres, les colons européens obtiennent avec une semence de 80 à 100 litres de blé un rendement de 11 à 12 hectolitres à l’hectare sur des terres labourées d’ordinaire une seule fois, deux au plus, et cultivées sans fumier cinq ou six années de suite. Un tel résultat, sans avoir rien de prodigieux, atteste dans le sol une grande fécondité, et fait entrevoir ce qu’obtiendraient des cultivateurs plus experts, opérant avec des capitaux et des engrais, donnant au sol les façons nécessaires d’après des assolemens bien entendus. La terre africaine aurait peu de rivales assurément. Aussi inspire-t-elle une véritable admiration à tous ceux qui la manient. « Ce n’est pas des récoltes qu’elle donne, mais de l’or, » nous disait un jour un kaïd ravi de joie au milieu de beaux champs de coton, dont il nous montrait les rameaux penchés sous le poids de leurs grosses et blanches capsules.

Grand comme la France, ce fertile territoire se partage entre les deux classes de population que nous retrouvons en présence dans tout le cours de cette étude, les indigènes et les Européens : les premiers disséminés dans la double région du Tell et du Sahara, les seconds distribués seulement dans le Tell, sauf deux ou trois postes, tels que Laghouat, Biskara et Geryville (el Biod), qui appartiennent au versant saharien. Des uns aux autres, l’inégalité de population est extrême : tandis que les indigènes comptent environ 2,300,000 âmes, les Européens ne sont guère plus de 180,000, avec l’armée en sus. Établir dans la zone cultivable, le Tell, des rapports numériques moins inégaux, en vue de la sécurité publique comme de la colonisation, tel doit être un des premiers soucis du gouvernement. Dans cette œuvre, si elle est conduite avec tact, intelligence et énergie, la race indigène sera plutôt une ressource qu’un obstacle. De tout temps en effet on l’a vue venir en aide aux vainqueurs, même en pleine période de guerre, et surtout la veille ou le lendemain des combats. Elle n’a jamais abandonné les villes, où elle est représentée par des ouvriers forains organisés en corporations de berramis (étrangers) sous la conduite d’un syndic; ces ouvriers s’emploient à tous les travaux trop infimes ou trop rudes pour des Européens. On distingue parmi eux les Biskris, originaires du pays qui entoure Biskaia; les Mozabites'', venus du groupe d’oasis méridionales qui porte leur nom; les Laghouati, enfans de La-