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ira en s’épuisant, faute d’engrais et de repos. Supposez au contraire qu’on lui donne une ferme de 15 hectares de terres arables soumises à un assolement quinquennal : 3 hectares en grains d’hiver et 3 hectares en grains de printemps donneront, avec le même rendement, 36 hectolitres à partager suivant les conventions entre le paysan et le maître, et on aura de plus 9 hectares de jachères qui commenceront par entretenir la fertilité du sol, et qui, cultivées plus tard en pommes de terre ou autres plantes, pourront doubler, tripler, quadrupler le produit total.

Nous avons pris pour exemple cette dimension de 15 hectares par ferme, sans compter les prairies, parce qu’elle est en tout pays la plus généralement appropriée à l’exploitation par une famille ; mais rien ne s’oppose à ce qu’elle soit accrue ou diminuée suivant les cas. L’essentiel est que l’on suive le plus possible les convenances de la culture ; avant tout, il faut produire. Les trop petites fermes, comme les trop petites propriétés, n’ont ni présent ni avenir en Russie, où la culture des plantes fourragères est à peu près inconnue à cause de l’extrême sécheresse du climat, et où celle des pommes de terre ne se répand que lentement. Il faut des jachères pour le présent, il en faut aussi pour l’avenir, car tous les progrès ultérieurs reposent sur cette base. En même temps l’excès de population rurale, aujourd’hui accumulé sur quelques points, tendra à s’écouler vers les provinces désertes et fertiles, car, encore un coup, la population rurale ne manque pas, et telle qu’elle est, elle suffit parfaitement, avec une meilleure répartition, à mettre en valeur toutes les ressources de l’empire.

L’auteur comprend et accepte au surplus toutes les transitions raisonnables. Il admet que, pour commencer, la rente du sol soit réduite le plus possible, afin que les paysans aient avantage à rester, et qu’ils puissent former par des bénéfices un capital qui serve à l’amélioration de la culture ; il admet que les premiers baux soient aussi longs qu’on voudra, pourvu qu’ils ne soient pas perpétuels, et qu’à l’expiration du terme indiqué, le maître et le tenancier soient libres de disposer comme ils l’entendront, l’un de son industrie, l’autre de sa terre ; il admet enfin que des entraves soient mises pour quelque temps à l’émigration. « Ce serait peut-être ici, dit-il, un des cas peu nombreux où l’intervention de la loi et de l’administration pourrait être véritablement salutaire, non en gênant inutilement l’émigration, mais en lui imposant l’obligation de ne s’éloigner d’un lieu à l’autre que dans la limite d’un certain nombre d’émigrans à la fois. Il est d’ailleurs évident que les paysans n’auront aucun motif de se presser, une fois qu’ils seront convaincus que la faculté de déplacement leur est accordée à toute perpétuité. La prudence leur conseillera de faire explorer les nouveaux lieux par la portion la plus jeune et la plus entreprenante. »

La propriété de l’enclos et le bail perpétuel d’un lot de terre étant abandonnés, la solidarité de la commune, le partage périodique par tiaglo, et les autres usages qui se rattachent à l’organisation primitive de la tribu, disparaîtraient aussi ; ce serait une grande révolution, mais une révolution bienfaisante. De même que le servage ne se comprend que dans un intérêt de défense contre l’ennemi, le communisme n’est à sa place que dans la vie nomade. L’un et l’autre sont des restes d’un état social qui n’existe plus. Dans ce système, la propriété territoriale resterait tout entière entre