Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de le proclamer le premier, qu’il crée pour les hommes de nouveaux devoirs, les devoirs les plus simples et les plus clairs du patriotisme, et qu’il rend tous les intérêts cà leur liberté en les affranchissant de la légalité qui les contenait. L’Autriche va faire la rude expérience de cette révolution qu’elle a déchaînée sur elle-même. Il semblait que la paix lui fût plus nécessaire qu’à aucune autre puissance en Europe ; c’est elle-même qui la rompt, et toutes les opinions et tous les intérêts, qui, attachés à la paix, lui prêtaient une sorte d’appui moral, s’élèvent aujourd’hui contre elle. Le droit légal européen résultant du maintien des traités existans était la grande autorité qu’invoquait l’Autriche au profit de sa domination en Italie ; cette légalité, qui était pour elle une protection respectée, même lorsqu’elle paraissait contraire à l’équité et aux droits naturels de populations réclamant leur indépendance nationale, c’est elle-même qui l’a fait tomber en poussière. Au moment où le premier de ses soldats aura mis le pied sur le territoire piémontais, expirera la vertu des traités auxquels elle a dû la possession de la Lombardie et de la Vénétie. L’Europe est libre désormais de changer l’état des possessions territoriales dans la Haute-Italie. Ce n’est plus qu’une question de force, et si l’Autriche, comme nous l’espérons, est la plus faible, elle ne pourra plus invoquer en sa faveur le droit écrit de l’Europe ; elle sera réduite à intercéder auprès d’intérêts qui seront libres d’agir vis-à-vis d’elle à leur convenance. Dégagée maintenant du lien légal des traités, l’Europe n’aura plus en présence d’elle que les souvenirs et les traces trop visibles du mauvais gouvernement de l’Autriche en Italie. Vainement la distribution des territoires en Italie a-t-elle été faite en 1815 dans une pensée de défiance et d’hostilité contre la France ; les intérêts qui ont sacrifié les droits et le bonheur des peuples à des plans stratégiques sont effacés et ne se relèveront plus. La conscience de l’Europe demande depuis longtemps que l’Italie soit rendue aux Italiens. Les traités seuls s’y opposaient, la cour de Vienne les supprime, et ne laisse plus subsister que les torts de son propre gouvernement. Certes l’Autriche eût pu prévenir depuis longtemps le dénoûment fatal vers lequel elle se précipite. Les sages conseils ne lui ont pas manqué. Au mois de novembre 1848, lord Palmerston l’exhortait à établir en Lombardie un gouvernement national sous un archiduc. La dépêche de lord Palmerston a été fréquemment citée dans ces derniers temps ; l’on a omis seulement les considérations curieuses sur lesquelles le noble lord fondait ses sagaces conseils. « Des changemens importans, disait-il, peuvent s’accomplir en France. L’élection qui va avoir lieu le mois prochain (celle du président de la république) peut amener dans ce pays d’autres hommes au pouvoir. Avec d’autres hommes peut se produire une autre politique. Des maximes de politique traditionnelle, jointes à une action plus prononcée dans la politique extérieure, peuvent être prises pour guide du gouvernement de la France. Le sentiment populaire dans ce pays, aujourd’hui enclin à la paix, peut aisément être retourné dans une direction opposée, et la gloire, comme on dira en France, d’affranchir l’Italie de la domination autrichienne peut entraîner la France à faire de grands sacrifices et de grands efforts. Les occasions d’intervenir en faveur de l’indépendance italienne ne manqueraient pas longtemps à la France : les Lombards les lui fourniraient