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c’est que, se voyant seule dans le congrès comme puissance italienne en face du Piémont et de Mme la duchesse de Parme, qui n’hésitait point à y entrer suivant les conditions du protocole d’Aix-la-Chapelle, l’Autriche a donné à ce protocole une interprétation impossible, et s’est fait un irrévocable point d’honneur de l’exclusion du Piémont.

C’est donc pour un point d’honneur, qu’elle n’a pas semblé avoir toujours compris de la même façon, que l’Autriche a brusquement et violemment dissipé les espérances que les amis de la paix avaient placées dans la réunion d’un congrès. L’on s’était sérieusement accoutumé en France à l’idée de ce congrès, et nous ne serions point surpris que notre diplomatie n’eût fait, pour en préparer les délibérations, des travaux que la guerre va rendre en partie inutiles. La question la plus importante parmi celles qui devaient y être résolues, l’organisation d’une confédération italienne, a dû être étudiée à fond dans la chancellerie de notre ministère des affaires étrangères, dont les archives contiennent déjà de si remarquables projets de fédérations italiennes. Il y a, comme on sait, le plan d’Henri IV ; il y a le travail politique de M. de Chauvelin sous le ministère du cardinal de Fleury ; il y a surtout la négociation de M. d’Argenson et le projet de Louis XV en 1745 et 1746. Le marquis d’Argenson, celui que ses contemporains, pour le distinguer de son frère, le brillant ministre de la guerre, appelaient d’Argenson la bête, ce philanthrope bourru, cet homme à idées, qui a eu, au travers de sa médiocrité chagrine, quelques intuitions de génie, avait, de concert avec Louis XV, formé le projet qui fournit sans doute à la politique actuelle de la France le précédent pratique qui a dû être consulté avec le plus de fruit. Il voulait chasser les Autrichiens de l’Italie, détacher la maison de Savoie de leur alliance, en donnant la Lombardie au roi de Sardaigne, et prendre ses sûretés contre le retour des Autrichiens, en établissant entre les états de la péninsule un lien analogue à celui de la confédération germanique. Ce fut assurément le projet le plus intéressant que le marquis d’Argenson put élaborer dans son court ministère. Il nous en a raconté l’histoire. La principale différence qui distingue la politique du marquis d’Argenson de la tentative que nous allons reprendre aujourd’hui, c’est qu’en 1745 la guerre existait déjà entre la France et l’Autriche, et que le roi de Sardaigne était l’allié de l’empereur. D’Argenson espérait, par sa négociation de Turin, détacher le roi de Sardaigne de cette alliance, et mettre fin à la guerre. « Les conquérans, nous dit-il, sont les querelleurs de la société civile ; chacun les fuit et les chasse. » Ses vues sur l’Italie, au lieu d’être l’occasion d’une guerre, devaient rendre la paix à la France. Il fallait le plus grand secret pour les faire réussir, car il importait de n’éveiller les craintes ni de l’Autriche à l’endroit du roi de Sardaigne, ni de l’Espagne, notre alliée, dont la fougueuse reine, Élisabeth Farnèse, ne voulait dépouiller l’Autriche qu’au profit des infans ses fils. D’Argenson tâta d’abord la cour de Turin par l’intermédiaire d’un jésuite, et ensuite par un vieux diplomate français, M. de Champeaux, lequel se présenta au roi de Sardaigne sous un déguisement de prêtre et sous le faux nom d’abbé Rousset. Louis XV, qui prenait un vif intérêt à cette négociation, n’en informa aucun de ses autres ministres, et écrivit lui-même les instructions de M. de Champeaux. Le projet avorta par le mau-