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Il y a une ouverture au Pardon de Ploërmel, une ouverture un peu symbolique, où le maître a voulu condenser les principaux traits de la légende dont il s’est inspiré. On y entend beaucoup de choses : les sons de la clochette que porte la chèvre, le chœur de la procession, une marche religieuse, l’orage qui est la cause de la folie de Dinorah, et qui amène aussi le dénoûment de la fable. Après un léger gazouillement des violons, un thème se dégage, qui ne manque pas de vigueur, et qui amène un chœur chanté derrière le rideau. Le chœur alterne plusieurs fois avec l’orchestre, et peut-être ce dialogue se prolonge-t-il plus qu’on ne voudrait et qu’il ne serait nécessaire pour produire l’effet désiré. On remarque dans cette introduction symphonique, dont plusieurs parties vigoureuses trahissent la main d’un maître consommé, trop d’ingéniosités de détail, trop de petits effets d’une sonorité curieuse, dont le public ne saurait comprendre la finesse ni l’à-propos. Une coupure qui retrancherait tout ce qui vient après la seconde ou la troisième reprise du chœur jusqu’au commencement de la péroraison rendrait, ce nous semble, la pensée profonde qui circule dans cette introduction plus significative et d’un effet plus heureux.

Au lever du rideau, qui laisse voir un paysage fort accidenté et très pittoresque, les paysans, réunis et groupés sur un monticule, chantent un chœur très mélodique et plein de fraîcheur :


Le jour radieux
Se voile à nos yeux.


Le motif est suspendu un instant par quelques voix épisodiques qui font un a parte gracieux, et puis il est repris par l’ensemble du chœur avec une sonorité charmante, bien appropriée à la situation. Dinorah, la folle, qui court après sa chèvre qu’on voit traverser le théâtre en animal bien appris qu’elle est, arrive après le départ du chœur, et s’assoit sur une pierre en chantant une gracieuse cantilène, dont une partie de l’intérêt musical est dans l’accompagnement. Mme Cabel donne à cette villanelle, en imitant avec le mouvement de son corps et de ses bras le bercement d’un enfant, je ne sais quelle afféterie qui en altère l’expression naïve. Corentin le cornemuseux, avec son biniou sous le bras, paraît tout à coup, entraîné par une frayeur extrême qu’il a des mauvais esprits qui hantent la contrée. Retiré dans la pauvre cabane que lui a laissée son oncle, il se met à débiter une sorte de philosophie digne de la sagesse de Sancho Pança :


Dieu nous donne à chacun en partage
Une humeur différente ici-bas…


Ces couplets, que M. Sainte-Foy chante avec esprit, ont de la rondeur, et j’en aime surtout le second mouvement en sol majeur ; toutefois c’est dans l’accompagnement de l’orchestre qu’il faut chercher les ingéniosités piquantes dont Meyerbeer relève et colore les drôleries du personnage qu’il fait parler. J’en dirai tout autant de la scène longue et variée entre Dinorah et le cornemuseux, qu’elle surprend dans sa cabane pendant la nuit. Les éclats de rire, les paroles décousues de Dinorah, la frayeur de Corentin, qui se croit aux prises avec la fée des prairies, qui le force à danser et à jouer