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tion de ses propriétés originelles et de ses procédés. La dernière expression de récole romantique allemande, c’est cette horde d’iconoclastes qui prétendent extirper de la musique toute idée mélodique, qui parlent avec dédain des œuvres de monsieur Mozart! et qui se sont qualifiés eux-mêmes de musiciens de l’avenir, parce que le présent n’est pas digne de les comprendre.

Esprit fin, observateur sagace, doué d’une imagination ardente et contenue tout à la fois, amoureux de la gloire sans trop se presser de la conquérir, timide et méticuleux dans les détails, audacieux et profond dans la conception du plan général, Meyerbeer développa en Italie un génie complexe où l’imitation adroite de Rossini se mêle discrètement à sa propre inspiration. Tel est le caractère de ses deux meilleurs opéras italiens, Marguerite d’Anjou et il Crocciato, qui lui firent une réputation qui affligea beaucoup son illustre condisciple et ami, l’auteur du Freyschütz et d’Oberon. Il faut lire dans la correspondance de Weber la lettre où il déplore que Meyerbeer se soit plongé de plus en plus dans l’imitation des formes étrangères, et que l’amour du succès ait étouffé une si belle imagination. — Was hofften wir ailes von ihm ! — O verflachte Lust zu gefallen! — Cependant, au milieu des applaudissemens et des e vira que lui prodiguait le public italien, si chaleureux et si excessif dans les témoignages de sa satisfaction, Meyerbeer méditait, car il médite toujours, une transformation de sa manière. Le Freyschütz, qui avait été donné à Berlin en 1821, fut traduit en français et représenté sur le théâtre de l’Odéon, à Paris, en 1824, avec un succès qui est devenu européen. Stimulé sans doute par cet exemple, par celui que Gluck avait donné en 1774 et que Spontini et Rossini avaient suivi avec tant d’éclat, Meyerbeer conçut également le projet de venir essayer son génie dans un pays qui possède incontestablement la plus belle et la plus riche littérature dramatique des peuples modernes. Robert le Diable a été représenté sur le théâtre de l’Opéra au mois de novembre 1831 : au mois de mars 1836, il donna les Huguenots, en 1849 le Prophète, et en 1854 l’Étoile du Nord. Je n’ai point à juger pour le moment ces ouvrages, qui sont connus du monde entier et qui se jouent sur tous les théâtres de l’Europe. Un jour nous aurons l’occasion de revenir sur ces grandes partitions, très diversement appréciées par la critique, mais dont on ne saurait contester l’effet puissant sur le public. L’Allemagne, où l’œuvre de Meyerber est jugée par les artistes et par les écrivains avec une rigueur qui touche à l’injustice, l’Allemagne court aux représentations de Robert le Diable, des Huguenots et du Prophète avec non moins d’empressement que le public parisien. A quoi tient la popularité évidente et incontestable des opéras de Meyerbeer? A la vigueur du coloris, à la passion ardente qui les traverse, à de certaines situations fortement rendues, à la puissance des combinaisons, à des inspirations profondes qui saisissent les masses, quoi qu’on fasse et quelles que soient les réserves légitimes de l’homme de goût qui préfère la beauté qui touche le cœur et charme l’imagination à la vérité qui frappe et s’impose à l’esprit. On peut dire de Meyerbeer, qui se préoccupe avant tout de l’expression vraie de la vie, ce qu’un poète latin, Properce, a dit de Lysippe, le statuaire grec :

Gloria Lysippo est animosa effingere signa.