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la Chasse aux Trésors, dont ils n’ont su malheureusement conserver ni l’intérêt ni les sombres couleurs. Emile Souvestre a dessiné d’une main hardie dans cet épisode la figure d’un sorcier de village, Claude le Rouleur, qui aurait inspiré à Meyerbeer un de ces caractères typiques dignes de Rembrandt, dont il possède le génie. Le nom même de Dinorah, l’héroïne du Pardon de Ploërmel, appartient encore à Emile Souvestre, qui l’a placé dans un autre épisode de la Muse populaire, le Kacouss de l’Armor[1]. Par ce temps d’exploitation littéraire extrême, ne serait-il pas juste au moins de rendre hommage à la mémoire d’un écrivain honorable qui vous a mis sur la trace d’une veine qui, grâce à la musique du maître, deviendra pour vous un filon d’or? — Voici en peu de mots la simple histoire que n’a pas craint d’accepter l’auteur du quatrième acte des Huguenots.

Dinorah et Hoël, deux enfans du même village qui ont grandi ensemble sur la terre savoureuse des bruyères, se sont promis l’un à l’autre depuis longtemps, et doivent s’unir devant Dieu au prochain pardon. Ils partent joyeux, suivant la procession, et, comme l’a dit le chantre pieux et doucement inspiré des Bretons, le pauvre et regrettable Brizeux,

Le jour de ce pardon, la grand’messe était belle.
Les voix montaient en chœur. Du bas de la chapelle
Les femmes doucement envoyaient pour répons
A l’eleïson grec les cantiques bretons.
Les enfans, appuyés sur la rampe massive,
Admiraient tour à tour dans leur âme naïve
Le calice d’argent et les hauts chandeliers,
Et les portraits des saints adossés aux piliers.

Cependant un orage terrible éclate, la foudre tombe et brûle la chaumière du père de Dinorah. Hoël, désespéré, se voyant ravir tout à coup le bien suprême auquel il aspire depuis son enfance, s’enfuit du village avec un mauvais garnement qui lui promet de le mettre sur la trace d’un trésor avec lequel il pourra rebâtir la maison du père de sa fiancée et faire le bonheur de celle qu’il aime. Pendant cette absence d’Hoël, qui dure un an, Dinorah, se croyant abandonnée pour toujours de son amant, se trouble et perd la raison. Toute la pièce n’est remplie que des épisodes plus ou moins heureux de la folie de Dinorah, qui, dans un pays superstitieux, passe tantôt pour une fée qui se plaît à danser la nuit dans les prairies et à faire danser avec elle les hommes qu’elle rencontre et qui lui plaisent, tantôt pour une pauvre abandonnée qui inspire la pitié. Un an s’est écoulé au lever du rideau. Hoël revient au pays, ne sachant rien du malheur qui a frappé Dinorah. Il revient muni d’un secret qui doit lui faire trouver le trésor tant désiré, et dont il connaît maintenant le gisement mystérieux. Comme il ne peut pas agir tout seul, Hoël s’adresse à un simple d’esprit, au cornemuseux Corentin, un poltron fieffé qu’il gagne à sa cause moyennant quelques verres de vin et la promesse de partager avec lui le fruit de leurs recherches. L’action, si tant est qu’il y en ait une dans la pièce que nous racontons, se passe tout entière entre ces trois personnages, Hoël, Corentin et Dinorah, qui

  1. Voyez les livraisons de la Revue du 15 janvier et 1er novembre 1854.