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pensées et la raison. En dépit d’étranges tentatives, plus malséantes ici que nulle part ailleurs, l’école française demeure encore la première des écoles modernes, parce que les vrais talens qu’elle compte, en quelque genre que ce soit, procèdent expressément de la vérité morale sans se soustraire pour cela, comme les peintres allemands, aux exigences de la vérité pittoresque. L’école belge n’a réussi jusqu’à présent à mettre à profit que la moitié de ces exemples en les fortifiant d’ailleurs des exemples qui lui appartiennent. A Anvers et à Bruxelles, les peintres savent aujourd’hui, et quelques-uns avec une sérieuse habileté, reproduire le fait actuel ou nous rendre dans sa physionomie extérieure telle scène du moyen âge; mais l’élévation de la pensée, l’invention, la signification profonde, font défaut le plus souvent à ces portraits, si ressemblans qu’ils soient, à ces restaurations, si judicieuses qu’elles nous paraissent. En un mot, l’art tel qu’on le comprend et qu’on le pratique en Belgique est d’un ordre inférieur, parce qu’il ne laisse rien pressentir au-delà de ce qu’il nous montre. En vertu des principes mêmes qui la régissent, l’école de ce pays n’a et ne peut avoir, malgré ses succès légitimes à certains égards, qu’une importance restreinte, une influence toute locale et un rang secondaire.

L’école anglaise, dont la critique s’occupe fort aussi depuis quelques années, est-elle, mieux que l’école d’Anvers, en mesure de justifier la confiance qu’elle inspire à quelques écrivains? Ceci nous ramène à M. Silvestre et au livre qu’il vient de publier sur l’Art, les Artistes et l’Industrie en Angleterre. Quand je dis livre, c’est d’un discours qu’il s’agit, discours prononcé dans un meeting de la Société des Arts de Londres, reproduit ensuite par les journaux anglais, et aujourd’hui publié en volume. Est-ce à la destination première du travail qu’il convient d’attribuer l’extrême courtoisie, la bienveillance systématique avec laquelle l’auteur apprécie l’état actuel de l’art en Angleterre, — ou bien M. Silvestre en est-il venu spontanément à une sorte de rétractation, au désaveu de sa méthode première, à une seconde manière enfin? En tout cas, M. Silvestre, une fois entré dans la voie de l’indulgence, y marche aussi résolument, aussi intrépidement, pourrait-on dire, qu’il s’avançait naguère dans un chemin tout opposé. Comme il arrive d’ordinaire aux nouveaux convertis, l’excès même de sa foi l’entraîne à des exagérations de parole, à une ardeur de prosélytisme qui effarouchent la sympathie, au lieu de l’attirer. « Oui, s’écrie-t-il, les peintres anglais ont tiré de la nature toutes les formes, tous les caractères, toutes les harmonies. En s’attachant à rendre avec une profonde sincérité l’aspect de la création, ils ont fait sentir d’une manière simple, pathétique, éclatante ou grandiose, le lien moral qui rattache la pensée de l’homme, le rêve des bêtes, la sensation des plantes, la vie des élémens à la mystérieuse et solennelle puissance de Dieu. » Or, si l’école anglaise a tiré de la nature « toutes les formes, » comment se fait-il qu’elle n’ait pu produire un seul grand dessinateur? « tous les caractères, » — d’où vient qu’elle n’ait su traiter que les sujets familiers? « toutes les harmonies, » — pourquoi dès lors ces extravagances de coloris et de pinceau auxquelles Turner, Lawrence et bien d’autres à leur exemple se sont abandonnés? Nous estimons à son prix la peinture où l’on retrouve une image du « rêve des bêtes» et de « la sensation des plantes;» mais