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souverains que M. van Soust leur impose un peu à la légère. Comme tous les talens diversement recommandables que la Belgique compte aujourd’hui même en dehors de l’école d’Anvers, comme MM. Willems, Stevens et Dillens, ils semblent n’avoir d’autre ambition que de ramener l’art de leur pays à l’expression sincère de la réalité, à cette étude des formes exactes qui préoccupa leurs aïeux bien plus habituellement que la recherche de la beauté abstraite. Que l’on applaudisse à de pareils efforts, rien de mieux, à la condition toutefois de n’en exagérer ni le principe, ni la portée. L’erreur de M. van Soust est d’attribuer l’importance d’une révolution radicale à un simple mouvement de réaction, et d’isoler trop complaisamment les progrès qui se poursuivent aujourd’hui en Belgique, soit des leçons sur place du passé, soit des leçons assez récemment données par un pays voisin. En ce qui concerne la fidélité historique, la représentation vraisemblable du fait, n’est-ce pas l’initiative prise par l’école française qui a stimulé le zèle des chroniqueurs pittoresques à la façon de M. Leys? Est-il bien opportun, bien équitable même de taire l’influence au moins probable exercée par M. Delaroche sur M. Gallait, ou par M. Meissonier sur les peintres de genre à Anvers ou à Bruxelles? Parmi les quarante-trois peintres belges dont le livret de l’exposition universelle en 1855 mentionnait les noms à côté des noms de leurs maîtres, dix s’étaient, de leur propre aveu, formés en France et dans l’atelier d’artistes français. Pourquoi M. van Soust n’a-t-il pas tenu compte de ce fait assez significatif? Soit oubli, soit abstention volontaire, il ne dit mot des secours, des bons exemples tout au moins que son pays a reçus du nôtre. Il ne trouve à citer en regard du nom de M. Leys que le nom de Poussin, « non pas, » dit-il, — et certes nous ne saurions trop approuver sa réserve,

— qu’il veuille « établir un parallèle entre ces deux hommes qu’il faut juger chacun à son point de vue, » mais parce que, « comme Poussin, M. Leys peut se dire : Je ne suis pas de ceux qui en chantant prennent toujours le même ton. » Reste à savoir si ce que l’on chante aujourd’hui en Belgique n’est pas simplement un écho de ce que l’on chantait hier en France.

M. van Soust pourtant semble assez attentif à ce qui se passe de ce côté-ci de la frontière. S’il manque un peu de mémoire à l’égard de nos maîtres et de leurs œuvres, il ne laisse pas d’enregistrer avec soin les encouragemens, — les encouragemens excessifs de préférence, — que la critique française a pu en diverses occasions accorder aux artistes belges, et, s’enhardissant de ces éloges pour essayer d’intimider jusqu’aux chefs de notre école, il répète, en le commentant, l’avertissement sinistre qu’un écrivain de notre pays formulait en ces termes après l’exposition de 1855 : Caveant consules. — Oui, tenons-nous sur nos gardes, mais bien moins en vue du péril signalé par MM. Maxime Du Camp et van Soust, bien moins par crainte de la domination étrangère, qu’en vue des dangers et des ennemis qui nous menacent à l’intérieur. Tenons-nous sur nos gardes, non pas pour faire en sorte que M. Leys ou M. Willems, M. Stevens ou M. Wiertz ne puissent avoir raison de M. Ingres, de M. Delacroix, de M. Decamps, de M. Flandrin et de vingt autres dont, le moins habile serait encore l’un des premiers en Belgique, mais pour empêcher l’école française de démériter d’elle-même, pour empêcher l’adresse matérielle de s’installer là où régnaient, où règnent encore les hautes