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pas de nous donner par surcroît quelques renseignemens sur lui-même, et de faciliter ainsi la besogne aux historiens futurs de l’art contemporain. Il peut à la vérité s’autoriser de l’exemple de Vasari, qui n’a pas craint d’écrire sa propre vie dans le livre consacré par lui à la biographie des grands artistes : seulement Vasari a réservé pour un chapitre à part les détails qui le concernent. La manière de M. Etex est différente. Dans le travail qu’il vient de publier, un exposé de ce qu’il a étudié, fait ou enduré lui-même, — depuis l’époque où, dans l’atelier de M. Dupaty, on le surnommait le naïf jusqu’au jour où une prohibition formelle, conséquence de tristes démêlés, vint mettre à néant son projet pour le tombeau de Pradier, — cet exposé et quelques aperçus d’un autre ordre, sur le mariage par exemple, « le mariage tel qu’il est encore, » se mêlent au récit des premiers progrès, des succès et des souffrances du sculpteur de Cyparis et de Sapho.

Nous ne saurions oublier que M. Etex a fait ailleurs ses preuves de talent, et qu’un groupe modelé autrefois par lui, — Caïn et sa race maudits de Dieu, — mérite d’être compté parmi les morceaux remarquables de la statuaire moderne ; mais tout en rendant justice à ce que l’artiste a su produire, nous ne pouvons en conscience nous accommoder des erreurs de pensée et de langage où tombe l’écrivain. On sait que Pradier avait la faiblesse de se croire peintre à ses momens perdus, et l’on se rappelle peut-être les petits tableaux qu’il exposait quelquefois, œuvres malencontreuses où rien ne se retrouve de l’habileté qui distingue les autres travaux de sa main. Les écrits du sculpteur de Caïn ne sont pas sans analogie avec ces peintures du sculpteur des Trois Grâces. Même inexpérience de l’instrument que l’on prétend manier, même confiance dans l’issue d’une tentative à laquelle on n’a été qu’insuffisamment préparé. « Nul n’est obligé d’écrire, mais du moment qu’il prend la plume, l’écrivain a le devoir de se conformer aux exigences de son sujet. » C’est là une vieille vérité dont M. Etex a eu le tort de ne pas se souvenir assez, et que l’auteur d’une étude sur l’École d’Anvers en 1858, M. Adolphe van Soust, rappelait tout récemment en des termes qui ne manquent pas ici d’à-propos.

On ne saurait reprocher à M. van Soust d’avoir méconnu dans la pratique le principe qu’il posait ainsi au commencement de son livre, car ce livre ne contient rien qui ne se rattache directement au sujet. L’étude sur l’École d’Anvers en 1858 est d’ailleurs conçue à un tout autre point de vue que l’histoire de M. Silvestre ou l’étude de M. Etex. Ce n’est pas le goût des informations biographiques qui l’a inspirée, mais bien le zèle patriotique : zèle excessif, il faut le dire, et non moins partial ici, non moins contraire à la saine critique que cette manie de confidences et de détails personnels que nous condamnions tout à l’heure. Aussi doit-on se garder de partager toutes les espérances, tous les enthousiasmes qu’inspire à M. van Soust la situation de l’école dont il nous raconte les derniers progrès, et cependant ces progrès sont réels. Il est certain que les tableaux de M. Gallait et de M. Leys méritent à tous égards d’être préférés, ceux-ci aux tableaux de genre dont on se contentait il y a vingt ans, ceux-là aux toiles historiques exposées vers la même époque par MM. de Keyser, Wappers et quelques autres.