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terre. L’alliance anglaise, si elle parvient à se cimenter, en amènera, par une conséquence nécessaire, l’abolition. Il n’en faut pas davantage pour qu’ils soient les adversaires acharnés et systématiques de l’alliance anglaise. Ainsi, pendant que le gouvernement, sur ce point d’accord avec le parti libéral, s’applique à effacer les préjugés hostiles à l’Angleterre, les prohibitionistes font les plus grands efforts pour les entretenir, comme si c’était le feu sacré. Ils suivent avec une remarquable persévérance un plan de dénigrement et de diffamation contre l’Angleterre. Ils ne laissent passer aucun de ses actes, en quelque genre que ce soit, sans essayer de l’envenimer, et, il faut le reconnaître, comme nos longues et sanglantes guerres ont laissé contre elle dans le pays beaucoup de germes de mauvais vouloir, cette tentative des prohibitionistes n’a pas laissé que d’avoir un déplorable succès, et en ce sens elle contribue à susciter des embarras à la politique extérieure de la France.

Tel est le parti qui réclame aujourd’hui le retour de l’échelle mobile; c’est à l’accroissement de son influence que tournerait ce rétablissement. Il appartient au gouvernement de voir si ce parti n’est pas assez puissant déjà, et quel usage il pourrait faire d’un supplément de forces. Certes on ne peut qu’applaudir à la longanimité avec laquelle le gouvernement tolère les manœuvres d’une association même aussi intolérante. Par là il donne la preuve de ceci, qu’il ne s’est pas proposé d’éteindre en France la vie publique; mais s’il est bon que le gouvernement laisse l’esprit d’association se manifester, même par des écarts et par des violences de langage, il serait fâcheux qu’il permît à des coteries, dont un intérêt égoïste est le lien, de prendre une attitude de domination dans l’état, et de n’accepter une concession que comme le moyen d’en arracher de nouvelles. Le premier des Napoléon, sur lequel la pensée de l’empereur est si souvent fixée, avait cette grande qualité, que les intérêts égoïstes et les coteries n’eurent jamais, à sa connaissance, une influence marquée sur les affaires. C’est ce qui nous fait espérer que la levée de boucliers des prohibitionistes pour la résurrection de l’échelle mobile sera décidément sans effet, et qu’ici la raison, le bon droit et l’intérêt public prévaudront enfin.


MICHEL CHEVALIER.