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autre tenu de ne pas céder aux exigences des factions ou des coteries; plus que tout autre, il est tenu de ne pas tolérer que des intérêts égoïstes essaient d’exercer la domination dans l’état.

En fait de questions politiques, je n’en sache qu’une qui soit nettement posée au sujet de l’échelle mobile : c’est de savoir quelle est dans l’état la première autorité pour tout ce qui touche à l’économie publique, celle du gouvernement de l’empereur ou bien celle de l’association prohibitioniste. Les choses en sont venues à ce point qu’aujourd’hui cette grave question se pose d’elle-même. Pour lever tout doute à cet égard, il suffit de retracer rapidement la marche de l’association depuis son origine, et de rappeler les prétentions qu’elle a officiellement énoncées dans ces derniers temps.

Dès le moment de sa formation, il y a vingt ans, un changement se manifesta dans la discussion publique sur les questions commerciales. Jusque-là, par un accord unanime, on faisait au principe de la liberté du commerce la politesse d’en parler avec égards, sauf à le reléguer dans de lointains horizons, quand il s’agissait de la pratique; il ne serait pas malaisé de citer des écrits de prohibitionistes des plus ardens aujourd’hui, même de maîtres de forges, dans lesquels le principe de la liberté du commerce recevait alors les salutations les plus respectueuses. Du moment où l’association prohibitioniste s’est constituée, on est inondé d’écrits où le principe de la liberté du commerce n’est plus qu’une extravagance. Ceux qui la soutiennent sont gens à mettre aux Petites-Maisons ou à envoyer à la police correctionnelle comme des perturbateurs de l’ordre public ou des conspirateurs contre l’ordre social : on affecte de les confondre avec les socialistes les plus dangereux. Dans ces limites cependant, la thèse des prohibitionistes ne touche qu’à la théorie, et à cet égard chacun est libre de raisonner ou de déraisonner autant qu’il lui plaît. Il est bien autrement important d’observer et de signaler l’attitude de l’association vis-à-vis du gouvernement. C’est en cela surtout qu’elle a innové.

Antérieurement, les manufacturiers se montraient fort soumis envers l’autorité, quand ils avaient quelque chose à solliciter. L’association au contraire, dès son début, semble avoir pris à tâche de lui faire violence. En 1841, le gouvernement projetait l’union douanière avec la Belgique. C’eût été un acte d’excellente politique, qui eût flatté le sentiment national et eût été profitable au point de vue strict des intérêts, car il est chimérique de croire que notre industrie ne soit pas pour le moins l’égale de celle des Belges; mais la coterie prohibitioniste avait résolu qu’il ne fût porté aucune atteinte au système ultrà-restrictif que nous ont légué les guerres furieuses de la république et du premier empire. L’association prohibitioniste