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sons du tarif des douanes continuent de la rendre plus chère qu’elle ne le serait naturellement, et cela alors que tout notre littoral de l’Océan, de Dunkerque à Bayonne, ne trouvant pas de charbonnages français à sa portée, n’a de ressources que dans les mines étrangères? Mais quelque charmés que nous dussions être d’avoir à louer cordialement monsieur Prohibant de sa conviction, l’illusion ne nous est pas permise. A l’heure qu’il est, il se montre plus intraitable que jamais sur le chapitre des prohibitions et des restrictions en général. Alors on a le droit de lui représenter qu’il est bien injuste pour l’agriculture; il est même peu chrétien, ce me semble, car il fait à autrui ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui fît!

J’espère que le lecteur me pardonnera de lui signaler cette singulière logique du parti protectioniste. On applaudit à outrance lorsqu’il s’agit d’instituer ou de perpétuer, même dans ce qu’elle a de plus exagéré, une législation douanière qui trouble l’ordre naturel des choses et fait violence aux consommateurs, en entourant le pays de barrières qui investissent quelques chefs d’industrie d’un monopole, et leur permettent d’imposer à leurs concitoyens un tribut. On exerce de toutes parts une pression en faveur de cette législation contraire au droit naturel et à l’intérêt public; mais quand, au lieu de l’industrie manufacturière, il s’agit de l’agriculture; quand, au lieu de légiférer contrairement aux lois naturelles qui veulent que chacun puisse, soit disposer librement des fruits de son labeur, soit se procurer aux meilleures conditions ses instrumens de travail, soit enfin acheter les objets nécessaires à sa consommation sans payer de redevance à personne si ce n’est à l’état, il s’agit de faire des lois qui consacrent une reconnaissance tardive, mais toujours bien venue et honorable, de ces droits essentiels, ce n’est plus l’assentiment des prohibitionistes qu’on rencontre, c’est leur malveillance et leur opposition systématique.

On blâme beaucoup, et avec raison, la convention nationale d’avoir, en 1793, établi le maximum pour un grand nombre de denrées. Or cependant quel est le but avoué des droits d’exportation sur les blés? N’est-ce pas d’établir un maximum pour cette denrée? Le maximum de la convention détruisait la production dans sa racine; l’échelle mobile à la sortie paralysera l’agriculture dans les départemens de la Bretagne et de la Normandie, et y restreindra, au détriment du pays tout entier, la production des céréales. Le gouvernement a certainement à cœur de témoigner son respect pour le droit de propriété; le droit de propriété est atteint cependant par le fait de ces droits à l’exportation des grains qu’il s’agit de perpétuer. Le droit de propriété est lésé lorsqu’on suscite des obstacles considérables à ce que le propriétaire dispose librement