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niment un acquéreur dans les ports de la Grande-Bretagne, y tombaient à des prix désastreux pour le spéculateur anglais ou pour le producteur colonial, tandis qu’ils étaient à des prix excessifs sur le continent. Du jour où le système restrictif a cessé d’exister en Angleterre pour les céréales, le marché britannique a suffi à absorber tous les excédans qui s’offraient dans les deux hémisphères, et dont l’on s’était beaucoup exagéré l’étendue. Le système restrictif ayant été, grâce à l’exemple de l’Angleterre, aboli presque partout à l’égard des grains, on est aujourd’hui en présence d’un fait qui était imprévu il y a un petit nombre d’années. Un ordre de choses tout nouveau s’est constitué pour cet article si important de la consommation humaine. Autrefois, et je parle d’il y a moins d’un siècle, on vivait sous le système des approvisionnemens réservés non-seulement pour chaque état, mais même bien souvent pour chaque province; au contraire on est placé aujourd’hui sous une donnée bien plus large et bien autrement féconde : c’est l’unité du marché pour tous les peuples, ou, en d’autres termes, la libre circulation des grains sur la surface de la planète, ou encore la solidarité entre les différens rameaux de la famille humaine par rapport à la production et à la consommation de cette denrée. La France elle-même, à l’heure qu’il est, par l’effet de dispositions que la loi n’a pas encore sanctionnées, mais qui n’en sont pas moins en pleine vigueur, a sa place et son rôle dans ce remarquable phénomène qui s’est improvisé tout seul, et dont l’homme d’état et l’administrateur, à leur point de vue de gens positifs, n’ont pas moins à s’applaudir que le philosophe et le moraliste, qui ont le culte des pensées bienfaisantes et des principes élevés.

Je ferais injure aux lecteurs si je prétendais leur apprendre quelque chose en disant que le système des approvisionnemens réservés offre plus d’inconvéniens que d’avantages, en ce que dans les temps de disette il raréfie la denrée ou la fait se comporter comme si elle était raréfiée, tandis que la libre circulation multiplie pour ainsi dire les ressources, en ce qu’elle multiplie les quantités que chaque marché peut recevoir. Dans les temps d’abondance au contraire, la libre circulation des grains les dissémine en les répartissant. Qui ne sait qu’en France, où aujourd’hui nous avons en droit et en fait la libre circulation à l’intérieur, et nous ne la possédons que depuis Turgot, les prix s’égalisent beaucoup mieux ou moins mal entre les différentes provinces, abstraction faite même de l’influence toujours croissante qu’exerce le perfectionnement des voies de communication?

Autrefois dans les différens états de l’Europe (on en a la preuve positive par les relevés de Dupré Saint-Maur et par les tables con-