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aurait pu convaincre les intéressés que leur espérance reposait sur des fondemens fragiles. Que dans un pays comme l’Angleterre, dont la récolte habituelle est passablement au-dessous de ses besoins, une barrière érigée contre les blés étrangers ait pour effet de provoquer presque en tout temps renchérissement de la denrée, c’est fort naturel; mais dans un pays comme la France, dont la récolte ordinaire est égale à ce qu’il lui faut de grain, l’idée est tout simplement chimérique dans les années d’abondance, qui sont celles en vue desquelles ont été combinés ceux des rouages de l’échelle mobile qui s’appliquent à l’importation. Le blé étranger fùt-il prohibé, ces années-là seront marquées par l’avilissement des prix. L’expérience d’ailleurs s’est chargée de répondre, et la réponse est péremptoire. Combien de fois en France le prix moyen du blé n’est-il pas tombé, par l’effet de sa propre pesanteur, non pas seulement au-dessous de 24 fr. 65 cent., prix de 1818, par lequel des propriétaires crédules s’étaient laissé allécher, mais même au-dessous de 20 francs, qu’on peut considérer comme une moyenne satisfaisante pour le producteur ! Pour ne pas remonter plus haut que 1832, époque où l’échelle mobile a reçu sa dernière formule, les relevés officiels constatent que le prix moyen a été en 1833 de 16 francs 62 cent., en 1834 de 15 francs 25 cent., en 1835 de 15 francs 25 cent., en 1836 de 17 fr. 32 cent., en 1848 de 16 fr. 65 cent., en 1849 de 15 fr. 37 cent., en 1850 de 14 fr. 32 cent., en 1851 de 14 francs 48 cent., en 1852 de 17 francs 23 cent., et cela toujours avec les garde-fous de l’échelle mobile, qui, disait-on, devait l’empêcher de choir. Je passe les années où il a été de 18 à 20 fr., et de 1832 à 1852 inclusivement elles sont au nombre de six. Avant la loi de 1832, des faits analogues se manifestèrent : ainsi les prix des années 1822, 1825, 1826, ont été de 15 fr. 59 cent., 15 fr. 74 c, 15 fr. 85 c.[1].

L’échelle mobile n’est donc qu’une déception pour les propriétaires, ainsi que pour leurs ayant-droit et leurs co-intéressés, les fermiers et les métayers. — Ce n’est pas bien sûr, répliquent les partisans absolus de l’échelle mobile; sans l’échelle mobile, les prix tomberaient encore plus bas. En êtes-vous bien certains? leur dirons-nous à notre tour. Consultons l’expérience; peut-être l’his-

  1. En Angleterre même, il est arrivé assez fréquemment, sous le régime de l’échelle mobile, que le cours des blés s’est avili, parce que l’échelle mobile n’empêchait pas, dans les années d’abondance, les cours d’être écrasés par les quantités qui arrivaient sur le marché. On avait cru assurer aux cultivateurs un minimum de 80 shillings le quarter (34 fr. 75 cent, l’hectolitre) par la législation de 1815, et de 70 shillings (30 fr. 40 cent, l’hectolitre) par la législation de 1828. En 1835, le blé tomba à la moitié de ce dernier taux, 35 shillings le quarter (15 fr. 20 cent, l’hectolitre).