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de place dans cette conversation suprême; la mourante n’entretint Guy que de ses espérances pour l’avenir. Quelles espérances? L’espérance que son souvenir serait pour le reste de sa vie non un remords cuisant, mais un bienfaisant regret, l’espérance qu’il s’écarterait des voies dangereuses et perverses dans lesquelles il était engagé, qu’il renoncerait à cet orgueil brutal et à cette sensualité égoïste auxquels elle devait la mort. Elle avait fait promettre à son frère que sa mort ne serait pas vengée; elle fit promettre à Guy que jamais, quoi qu’il arrivât, il n’accepterait de combat avec son frère, et qu’il ferait taire à jamais la voix de l’orgueil. Pendant que ces suprêmes promesses s’échangeaient, on pouvait entendre de la chambre de la mourante les pas fiévreux de Cyril Brandon, frustré de sa vengeance par la piété de sa sœur. Enfin la porte s’ouvrit, un œil chargé de reproches se fixa sur Guy Livingstone, et une voix impérative dit : « Il est temps. » Quelques jours après, la mort avait séparé pour toujours les deux amans. A partir de ce moment, Guy, dans toute la fleur de la jeunesse et de la force, commença à descendre le chemin de la vie. Il ne se releva pas du coup qu’il s’était porté à lui-même. Il connut, pour employer les paroles de l’Écriture, toutes les souffrances du feu qui ne s’éteint pas, toutes les morsures du ver qui ne meurt pas. Les triomphes mondains n’eurent plus de charme pour lui; les sourires de Flora Bellasys n’eurent plus d’empire sur son âme. Il avait perdu la faculté de vouloir, la puissance de désirer, la force d’aimer. Il ne recommença pas une vie nouvelle, il regarda s’éteindre tristement l’ancienne. Cependant les prières de Constance ne furent pas perdues, car en mourant il eut le courage de la résignation et supporta sans se plaindre les reproches amers de Cyril Brandon, qui se porta envers lui aux derniers outrages, puis il retourna vers Dieu aussi digne de sa clémence que le lui avaient permis sa nature passionnée et son orgueil intraitable.

Ce livre est une sorte d’exception dans la littérature anglaise contemporaine, et nous a fait rétrograder de vingt ans en arrière, à l’époque où les romans de Bulwer étaient dans toute leur vogue, et où le souvenir du satanisme byronien emplissait toutes les imaginations. Aujourd’hui les écrivains anglais ont abandonné la peinture du high life et des passions mondaines, et ont porté leur attention sur les passions moyennes de l’humanité et sur les conditions moyennes de la société. Guy Livingstone est donc une exception, et cependant il rentre aussi à sa manière dans le courant général qui entraîne la littérature anglaise contemporaine. Ne cherchez pas dans cette peinture des mœurs des dandies la sécheresse et l’insolence immorales qui distinguent les anciens romans de Bulwer. L’auteur n’a