Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il est fort inutile de s’élever; il y a plus de profit à les constater purement et simplement. Les vices ont cet avantage de commun avec les vertus, qu’ils servent également bien à mettre en relief la nature de l’individu, et qu’ils nous apprennent également bien comment et pourquoi tel personnage serait un adversaire redoutable, comment les mouvemens de la passion s’opèrent dans son âme, et avec quel degré de rapidité ou de lenteur. C’est là le genre d’instruction que nous donne le beau massacre exécuté par Ralph Mohun. Constatons le caractère redoutable de son énergie, et laissons-le régler ses comptes avec Dieu et sa conscience.

Partagez-vous les goûts du jour? Lecteur blasé, aimez-vous les émotions mélodramatiques? ou bien, lecteur plus réfléchi, aimez-vous à voir les passions aller jusqu’au bout d’elles-mêmes, la nature triompher de la civilisation, et les instincts de l’homme mépriser les convenances sociales? Le roman de Guy Livingstone contient des scènes qui pourront satisfaire ces différens goûts. Les personnages du roman appartiennent tous, je l’ai dit, aux classes les plus élevées de la société; mais leurs habitudes mondaines ne les sauvent pas des pires extrémités de la passion. Les jésuites, qui ont été souvent de fins connaisseurs de la nature humaine, ont toujours placé leur idéal politique dans une certaine moyenne de civilisation également éloignée de la barbarie instinctive et de l’extrême raffinement social. Ni trop ni trop peu de civilisation a toujours été leur devise. Il y a des momens de scepticisme où le contemplateur impartial est tenté de leur donner raison. Il semble en effet que l’homme n’est jamais plus près de rejoindre sa nature primitive que lorsqu’il paraît s’en éloigner à l’excès, et qu’un certain raffinement moral, en lui faisant dépasser la civilisation, l’en fait sortir et l’abandonne à sa sauvagerie instinctive. Le type humain qui nous occupe en ce moment, le dandy, prouve la vérité de cette observation. Il n’y a pas d’homme qui attache plus d’importance aux minutieux raffinemens de la civilisation, il n’y en a pas qui soit plus enclin à violer tout ce qui constitue essentiellement la civilisation.

Parmi les amis de Guy Livingstone et de Ralph Mohun, il y avait un jeune capitaine, beau, aimable et frivole, qui représentait dans cette société l’étourderie agressive et l’insouciance morale. Ce n’est pas lui qui aurait jamais ressenti les remords cuisans de Ralph Mohun ou de Guy Livingstone, car les luttes de la conscience lui étaient inconnues. Il avait une de ces âmes perpétuellement adolescentes, qui vivent comme plongées dans une aimable somnolence morale. L’absence de contrainte, l’habitude de la richesse, l’atmosphère sociale dans laquelle elles respirent, semblent produire sur