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qu’il est florissant et superbe, rien ne peut égaler son assurance et son mépris; mais que soudain il soit dépouillé de ses richesses, visité par la maladie, éprouvé par le chagrin, qu’il perde la créature charnelle qui faisait la joie de ses sens ou qu’il soit privé subitement de sa beauté, alors, son orgueil se transformant en désespoir, il implorera la destinée, rêvera de suicide et de solitudes monastiques, méditera des règles ascétiques. Aux époques de grande foi catholique, on en a vu qui proposaient des conditions à Dieu, et lui promettaient une conduite exemplaire, s’il ressuscitait leur bonheur détruit. Dans notre époque démocratique, on en a vu qui, pour se réconcilier avec l’humanité outragée par eux, ont fait alliance avec la populace. — Immorale créature, direz-vous, et plus lâche encore qu’immorale! — Eh bien! vous vous trompez : dans ce subit abattement sous les coups du malheur, il n’entre aucune lâcheté. Un vrai dandy n’est réellement maîtrisé que par les choses qu’il est obligé de reconnaître plus fortes que lui. Aucun danger ne lui fera peur, aucun ennemi ne lui semblera redoutable tant qu’il pourra le contempler face à face, et qu’il pourra le combattre même avec des armes inférieures. S’il faut mourir, il mourra sans que son orgueil fléchisse. Des sauvages peuvent le scalper, des révoltés le fusiller, sans qu’il perde un instant son sang-froid et qu’il abdique une minute sa faculté de mépriser, pour plaider en faveur de sa vie; mais devant un adversaire inattaquable ou devant un ennemi invisible, il est sans défense comme un enfant. Il succombera sous le mépris d’une femme, et que sera-ce lorsqu’il se sentira atteint par les coups de la fatalité et les vengeances de la Providence! Il s’incline alors, s’avoue vaincu et s’humilie, et c’est par là qu’il se réconcilie avec la vérité morale, l’humanité et la religion. C’est un spectacle qui a sa grandeur. Tels sont les héros du roman de Guy Livingstone. Dès que le malheur les a frappés, ils doivent mourir, ou, sort plus terrible, se consumer dans l’isolement de spleen, de misanthropie et de dégoût.

Peut-être après tout le malheur et la mort sont-ils les conclusions favorables et désirables de telles existences. Il est bon que ces existences s’éteignent avant que la vieillesse arrive, il est bon que le malheur transforme en remords ces passions audacieuses et ces triomphes insolens que le cours naturel du temps et les glaces de l’âge auraient transformés en regrets coupables. Un vieux poète élégiaque est déjà un personnage peu séduisant; mais un vieux dandy présente un spectacle repoussant. Un vieux dandy est un scandale en chair et en os, un solécisme moral. La trop indulgente fatalité n’a pas touché ce vieux mondain, qui s’est d’autant plus endurci dans le mal que la douleur l’oubliait davantage. Aucune purification n’a élevé et