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« Un neveu du roi que nous avions avec nous, et dont nous avions fait un témoin à charge, nous avait garanti l’identité de nos prisonniers. De plus, ils s’étaient reconnus eux-mêmes pour ce qu’ils étaient, savoir : Mirza-Mogul, le neveu du roi et le principal promoteur de l’insurrection ; Mirza-Kishere-Sultamet, également un des principaux rebelles, bien connu pour avoir tué de sa main des femmes et des enfans européens; enfin Abou-Buckt, commandant en chef titulaire et l’héritier présomptif du trône mogol. Ce dernier est ce même jeune démon qui dépouillait nos femmes en pleine rue, et s’amusait à couper les bras et les jambes de leurs enfans, égouttant le sang des blessures dans la bouche de ces pauvres mères. Ceci est la vérité littérale. Il n’y avait pas une minute à perdre. Nous commandâmes à la troupe de faire halte. Cinq cavaliers vinrent se placer en avant du chariot, cinq autres à l’arrière, faisant le vide autour du char. Hodson fit descendre les princes, leur ordonna de se déshabiller et de remonter ensuite dans leur chariot, puis il les fusilla de sa propre main... Avant de les tuer ainsi, parlant à nos hommes, il leur avait expliqué qui étaient ces prisonniers, et par quels actes de férocité ils avaient mérité de perdre la vie. Cette petite harangue, fort laconique du reste, eut un effet merveilleux. Les musulmans paraissaient frappés de cette application de leur loi du sang pour sang, et quant aux Sikhs, ils poussaient littéralement des cris de joie, tandis que la masse populaire s’éloignait en silence et lentement. À ce moment même, un sowar me montra, dans un cham*p labouré, un homme qui s’enfuyait rapidement et dont les bras étincelaient au soleil. Le cavalier et moi, nous nous lançâmes après lui, et, l’ayant atteint, je constatai que c’était l’eunuque favori du roi, le même dont les atrocités nous avaient été si fréquemment rapportées. Le sowar le sabra sur place, et nous revînmes dans les rangs, charmés d’avoir nettoyé la terre de ce monstre. Il était alors quatre heures de l’après-midi. Hodson conduisit le chariot, chargé des cadavres, jusqu’au cœur de la ville, où il les fit placer dans une des rues les plus peuplées, afin que chacun pût les bien reconnaître. »


Il est honorable pour le caractère humain que des actions comme celle dont nous venons de reproduire le récit, — parfaitement véridique, il faut le croire, — entraînent avec elles un blâme presque certain. La nécessité a beau les expliquer, la logique a beau les présenter sous le jour le plus favorable : l’âme épouvantée se refuse à toutes ces atténuations de l’horreur instinctive que lui cause le meurtre accompli de sang-froid sur des êtres qui ne se défendent point. Il laisse une tache comme celle que lady Macbeth essaie en vain d’ôter à ses mains cent fois purifiées, toujours sanglantes. Hodson, durant les six mois qu’il a survécu à ses victimes, a dû plaider et replaider sa cause devant l’invisible tribunal où siège le suprême arbitre des actions humaines; mais, malgré l’attitude résolue qu’il affecte, la courageuse abnégation qu’il oppose au blâme public, n’est-il pas permis de deviner sous ce front hardi quelques pensées amères, et dans cette conscience intrépide quelques regrets du moins, si ce n’est quelques remords? Avant de répondre, écoutez un