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affaires de meurtre, de coups et blessures destinés à donner la mort, et jugé près de trois cents menus délits, félonies, vols, etc. A deux heures, il vient donner un coup d’œil à sa petite fille et prendre un verre de vin. Bientôt après cinq heures, on prend le thé, après quoi nous demandons les chevaux, et nous voilà en selle jusqu’à huit heures. C’est alors que je vais avec lui visiter les travaux de la forteresse, ceux du jardin, ceux des routes. De temps en temps nous nous détournons de cette ronde quotidienne pour aller déterminer le site d’un village, d’un puits à creuser, la direction d’un cours d’eau.

« Vous comprendrez facilement le bonheur qu’on éprouve à galoper sur ces plaines immenses par un beau temps bien frais (nos matinées et nos soirées sont encore charmantes), foulant aux pieds un sol émaillé en cette saison de fleurs délicieusement parfumées, et au pied de ces belles montagnes, dont les plus proches revêtent tour à tour toutes les variétés de couleurs que peuvent produire les jeux alternés de la lumière et de l’ombre. De retour au camp, William reçoit encore quelques rapports et s’occupe d’affaires jusqu’à l’heure du dîner, où nous avons souvent quelques officiers, quelquefois un convive de passage.

«Lorsque nous sommes en tête-à-tête, à peine le repas fini, nous examinons, nous classons les lettres arrivées dans la soirée, nous en discutons le contenu, nous y répondons même quelquefois, séance tenante; puis je reçois mes instructions pour le lendemain, les documens que j’aurai à copier, la correspondance qu’il faudra mettre à jour, etc. Et maintenant ne pensez-vous pas que la prière du soir et le sommeil sont bien gagnés, qui terminent cette laborieuse journée? N’oubliez pas que pour la construction de son fort, de ses routes, de ses ponts, William a la fabrication de ses briques à diriger, son bois à chercher et à charpenter. Vous verrez qu’il ne manque déjà pas de besogne. Ajoutez-y cependant encore la peine à se donner pour avoir des ouvriers, pour les faire arriver ici, et, une fois arrivés, pour assurer leur nourriture, plus les moyens de la cuisiner eux-mêmes; car plusieurs sont mahométans. Ils mangent de la viande, mais l’animal doit être tué, dépecé, cuit de la main des fidèles. D’autres sont des Hindous qui vivent de grains et de légumes ; mais chacun d’eux exige absolument sa chula, son foyer séparé, avec une enceinte où il puisse s’enfermer, lui et ses ustensiles. Que si par hasard le pied d’un étranger a passé sur sa petite muraille de boue séchée au soleil, il ne mangera ni ne travaillera jusqu’au lendemain. Puis ceux-ci fument, ceux-là détestent l’odeur impure du tabac ; les uns ne boivent que de l’eau, tandis qu’il faut aux autres des liqueurs spiritueuses, en sorte qu’il n’est pas précisément facile d’ajuster les besoins contradictoires de ces onze cents travailleurs, il me tarde bien, je vous assure, que ce Murdan-kôtee[1] soit terminé. Mon pauvre mari aura moitié moins de soucis et de fatigue.

« Pour jeter quelque variété dans notre existence, nous avons, les jours de grande fête, quelques sports indigènes, tels que jeter la lance au but, ou bien encore le nazabaze, qui consiste à enlever d’un coup de lance, en plein galop, un pieu de douze à quinze pouces, fiché en terre, ou bien encore à couper en deux, d’un coup de sabre, — toujours au galop, — une

  1. Murdân est le nom du district. Kôtee veut dire forteresse.