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magnanime Golgotha, t’apportent leurs inspirations! Aux premiers accens du divin concert, sous les ormes de l’Adige maternel, tressailleront les os sacrés de nos pères. »

Voilà bien le poète national, avec son pieux respect pour le passé, avec sa sainte et patriotique préoccupation de l’avenir! Par la noblesse incontestable de ses sentimens, M. Aleardi ressemble au reste de ses compatriotes plutôt qu’il ne s’en distingue; mais le don qu’il possède, et qui manque à la plupart des écrivains actuels, c’est la simplicité et la distinction. M. Aleardi semble avoir une prédilection marquée pour un genre qui a inspiré dans notre siècle les plus grandes âmes et les plus grands poètes de l’Italie, je veux dire l’épître en vers sciotti ou non rimes, forme qui se prête au cri de la douleur, aux élans de l’espérance, aux traits de la satire, et qu’ont illustrée, pour ne parler que des plus célèbres, Parini, Monti, Foscolo, Leopardi. Si M. Aleardi fait quelques excursions dans le domaine classique de la canzone, son inspiration est, pour la force de la pensée et la valeur du fond, infiniment supérieure à celle de l’élégant Marchetti. Que M. Aleardi continue d’écrire avec la sobriété éloquente dont il donne le rare et bel exemple, que ses vers généreux puissent librement circuler, et il deviendra peut-être pour l’Italie ce poète national qu’aurait pu être M. Prati.

Les autres poètes dont on a plus particulièrement lu et loué les vers durant ces dernières années ne me paraissent point appelés à d’aussi hautes destinées. L’un des plus distingués est sans contredit M. Jules Carcano, l’aimable auteur d’Angiola-Maria et d’autres gracieux récits; mais il manque d’élan, de nouveauté, de profondeur. Il n’aime point les hardies recherches et se contente d’une atmosphère tempérée où se déploient toutes les délicatesses du cœur. Romantique plutôt que classique, si l’on peut encore aujourd’hui faire usage de ces mots surannés, coloriste plutôt qu’écrivain pur et châtié, il fait de visibles efforts pour acquérir ce qui lui manque, et, marchant en sens contraire de M. Aleardi, il tend à se rencontrer avec lui dans cette désirable fusion dont il a été question plus haut.

Au-delà du Tessin, cette frontière factice imposée par les traités, il faut bien reconnaître que le Piémont, qui est presque le seul pays de l’Italie où la pensée ait une réelle activité, semble peu favorable à la poésie. Ni M. Scolari, ni M. Bellini ne me paraissent pouvoir lutter avec avantage contre le caractère positif et pratique des Piémontais. M. Bellini, dans une œuvre intitulée le Parlement, a essayé de célébrer en vers le statut piémontais, les deux chambres et les lois constitutionnelles. Rien ne semble moins poétique que ces modernes réalités; mais quand on songe qu’en poésie la difficulté vaincue est d’un