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charme des vers rimés. Or il est reconnu que les vers sciotti deviennent assez rarement populaires. Sismondi y voyait une des causes du peu de succès qu’obtint l’Italia liberata de Trissin. C’est en effet un obstacle de plus à vaincre, et il n’est pas médiocrement honorable pour M. Aleardi d’être rangé, avec Annibal Caro et Monti, dans le petit nombre de ceux qui en ont triomphé. Ce qui lui assure un rang élevé dans l’école contemporaine, c’est que la pensée n’est point absente de ses vers, défaut commun aux amoureux de la forme, et qu’il est doué d’une sensibilité vraie. Quelques vers tirés d’une pièce intitulée un’ Ora della mia Giorinezza (une Heure de ma Jeunesse) feront connaître l’homme en même temps que l’écrivain :


« Rends-moi, rends-moi, Seigneur, un seul jour de ma jeunesse ! Oh ! que je revoie pleins de vie les parens que j’aimais, et que me cache maintenant l’herbe haute du cimetière! Que dans mon cœur ému de respect j’entende encore la mélodie de la voix paternelle et ses conseils magnanimes! Que je contemple l’œil si grand, si noir, si chaste et si triste de ma mère!...

« O ma mère, c’est aux tendres fibres de ta mamelle que j’ai sucé ce flot de poésie qui me domine; s’il advient qu’aux cheveux de ton fils cette Italie qu’il adore accorde une seule feuille de laurier, je la déposerai sur ta tombe, car elle t’appartient. »


Un peu plus loin, le fils pieux et attendri devient un citoyen dont le cœur s’ouvre aux plus généreuses espérances :


« Sur ma tombe oubliée piétinera le sabot victorieux des coursiers de l’Italie. Fantôme enivré d’amour, je briserai la pierre, et j’adresserai un chant de triomphe aux braves que j’attends en cette vie et que sous la terre j’attendrai. »

Si M. Aleardi ne laisse pas plus souvent échapper le cri de ses espérances, c’est qu’il écrit à Vérone, sous les yeux et les canons de l’Autriche. Il faut le louer, dans les tristes conditions où s’écoule sa vie, de s’être montré fidèle à cette loi actuelle de la poésie italienne qui fait qu’à propos de toute chose les poètes gravitent invinciblement vers la pensée nationale. Quand M. Aleardi chante les villes commerçantes et maritimes de l’Italie, peut-il parler de Venise, de Gênes ou de Pise sans exalter son âme aux glorieux souvenirs du passé?


«Et toi, dit-il, tu accourais aussi, amazone de l’Arno, belle et terrible Pise! tu volais aux luttes maritimes, t’élançant sur les proues écumeuses comme on saute en selle sur les chevaux sauvages. Inutile fut la valeur du Sarrasin. Tu embrasais à Palerme ses demeures embaumées. L’or et les marchandises des lointains rivages s’entassèrent dans tes magasins. Semblables à des nymphes de l’Océan, les îles tyrrhéniennes t’adoraient comme