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« La fleur de mort est le plus beau présent qu’à l’homme tu puisses offrir. »


Il est clair que M. Prati souhaite la mort, au moins par figure de rhétorique. A quoi bon ce scepticisme et ce dégoût des grandes choses? De tels sentimens sont-ils sincères ou de convention? Je ne crois pas volontiers au désespoir pratique de l’homme, mais j’imagine que le poète, quoiqu’il ne veuille avouer ni Goethe ni Chateaubriand pour maîtres, ne voit rien au monde de plus poétique que les malédictions et les anathèmes, comme si la poésie primitive n’avait pas été avant tout une œuvre de foi. Dieu veuille que M. Prati comprenne ces critiques, car il doit nous être permis en somme de ne pas désespérer de l’avenir d’un poète jeune encore, et dont les débuts, appréciés ici même avec une légitime sympathie, ont porté si haut le nom.


III.

En même temps qu’elle assiste au déclin des anciennes écoles, l’Italie du nord voit heureusement se former de nouveaux poètes et commencer une période de transition qui compte déjà des représentans distingués. Le premier poète militant dont s’honore aujourd’hui l’Italie, celui dont le talent et les tendances semblent le mieux caractériser la nouvelle phase où elle est entrée, est encore un Lombard de Vérone, M. Aleardo Aleardi. Poète à l’âme tendre et mélancolique, M. Aleardi puise néanmoins son inspiration dans des sujets nationaux, condition nécessaire pour obtenir quelque succès chez nos voisins. En 1849, quoique bien jeune encore, — il avait, je crois, vingt-trois ans, — il fut jeté en prison, et sa sœur, avec une prudence toute féminine, brûla ses papiers, c’est-à-dire ses poésies inédites. Faute d’avoir trouvé trois lignes de son écriture, la police le rendit à la liberté et à ses travaux, sans que ces persécutions aient pu aigrir sa muse et lui dicter de haineux accens. M. Aleardi se rapproche de MM. Marchetti et Mamiani, quoiqu’il soit plus nourri et plus vigoureux que le premier, et infiniment moins porté que le second aux spéculations métaphysiques. Il serait souverainement injuste de le confondre avec les vulgaires versificateurs qui l’entourent. Les Italiens accordent à M. Aleardi, avec un peu de complaisance peut-être, la grandeur de la pensée, la majesté du vers, l’harmonie du style, la grâce du langage. Ils lui reconnaissent encore un autre mérite que nous pouvons difficilement apprécier : c’est que, bien qu’il écrive en vers sciotti ou non rimes, c’est-à-dire dans le rhythme propre à l’épître et à la dissertation poétique, ses chants ont tout le