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payait pas les frais de ce système. M. Prati ne comprend pas mieux la société que l’homme. Il n’y voit pendant la jeunesse qu’une course effrénée vers l’amour, expiée pendant la vieillesse par la pénitence et la dévotion. Ce qui est plus grave, c’est qu’il n’a que de fausses notions sur le beau et sur l’idéal. « Le beau, dit-il, c’est ce qui plaît au plus grand nombre d’hommes pendant la plus longue durée possible. » Un critique italien a fait spirituellement remarquer qu’à ce compte la tour de la Chine est plus belle que le Panthéon, et que pour savoir définitivement ce qui est beau, il nous faudrait attendre le jour de la réunion suprême dans la vallée de Josaphat.

M. Prati rêve, dit-on, de faire l’épopée de Dieu et de l’humanité. Ce sera chose facile, si, comme il semble le croire, l’histoire de tous les hommes est identique. Il n’a jamais vu sur la terre, il n’a jamais su imaginer que les aventures banales d’une femme coupable qui se retire dans un couvent ou meurt de désespoir, d’un séducteur qui continue de courir le monde, triomphant et honoré, d’un mari honnête et délaissé qui ne trouve dans son malheur aucune consolation. Le Comte Riga, dernier né de M. Prati, c’est le sujet retourné de Rodolfo, l’un de ses précédens poèmes, et le sujet de Rodolfo se trouve déjà ébauché dans l’une de ses Promenades solitaires. Ici ce sont deux sœurs qui aiment le même homme, là deux frères qui aiment la même femme, et cette similitude se retrouve jusque dans les moindres incidens. Pour le poète, la femme est invariablement faible et aimante, l’homme pervers et séducteur, partagé entre la satiété, le désir et le remords. Il n’y a dans le monde que des René et des Werther. On est effrayé de voir avec quelle aisance M. Prati se meut dans le faux. Pour atteindre à la magnificence de l’expression, il ne sait que l’exagérer et multiplier les images, presque toutes empruntées à l’ordre matériel. Il n’a pas le sentiment de la vraie grandeur, qu’il croit incompatible avec le naturel et le simple. C’est pourquoi il est éternellement question dans ses vers des horreurs et des mystères de la nature. Alors même que tout paraît calme dans l’atmosphère où vivent ses personnages, il ne parle que de tempêtes, de tonnerre, d’éclairs ou d’abîmes. Les femmes sont des formes surprenantes et inconnues de chérubins; leurs craintes sont étranges et obscures, leurs palpitations atroces et leurs fascinations secrètes, sans compter que leur cœur n’est qu’ombre et mystère. Les hommes sortent de l’enfer, ils cherchent des cavernes inconnues, de sauvages horizons. Monotone et outré dans le choix de ses procédés, M. Prati est-il plus heureux dans la forme? Il accouple sans doute les mots avec assez d’habileté pour qu’ils flattent l’oreille, mais il sacrifie tout pour atteindre ce but. Voici des vers qu’il adresse à un petit nuage :