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parce qu’en Italie tout le monde en fait, et il les a faits beaux, parce qu’il était trop bien doué pour transporter la prose dans sa poésie, quand il mettait tant de poésie dans sa prose. S’il est dépourvu de vigueur, il possède au suprême degré la souplesse, la grâce, le sentiment, la passion et, pour nous en tenir à des mérites où la langue est plus intéressée, la correction et la pureté. M. Tommaseo est incontestablement le meilleur écrivain qu’ait produit l’école de Manzoni, et il est redevable de cette supériorité à de consciencieuses études. En 1832, il s’était retiré sur la montagne de Pistoia, en Toscane, pour n’avoir plus commerce pendant un temps qu’avec ces admirables paysans qui parlent encore au XIXe siècle la langue du XVe celle de l’Arioste et du Tasse, de Machiavel et de Davanzati. Là il recueillit de la bouche de ces hommes primitifs les chants populaires qu’ils se transmettaient de père en fils. Sans parler de l’intérêt qui s’attache à la publication dont ces chants furent plus tard l’objet, on comprend tout ce que M. Tommaseo dut gagner personnellement à un pareil labeur. Sa prose et ses vers fussent-ils, par rapport à la pensée, destinés à vieillir, ils resteraient vraisemblablement comme des modèles de l’art d’écrire à notre époque. Qu’importe donc au fond le plus ou moins de valeur de quelques pièces fugitives? Elles ne sont en quelque sorte qu’un délassement pour l’esprit cultivé de l’auteur. Citons, entre autres morceaux d’un rare mérite, quelques strophes de l’ode sur l’Univers, empreintes du sentiment le plus vif de la majesté du monde, où rien ne périt, où la vie naît de la mort :


« De quelle planète, de quelle source secrète, par combien de détours jaillit, bondit et se brise le rayon qui, sous une paupière humaine, sourit ou pleure?

« Et la chaleur qui émane de deux âmes unies dans un douloureux et pieux embrassement, combien de fois ne s’est-elle pas répandue dans les airs! En combien d’existences elle a paru et s’est évanouie!

« Une même matière diversement façonnée vous a produits, zéphyrs, et vous aussi, ruisseaux! D’un même amour naît votre vie, fleurs et oiseaux!

« Tout est vivant. Ce qui semble mort au monde n’est qu’une erreur de nos débiles yeux. Un esprit serein, profond, immuable, répand ses germes

« Dans l’orbite des sphères ardentes; il les jette dans la paix des tombes obscures. Rien n’est vil, tout est puissant, tout est pur.

« L’onde jaunâtre de l’étang devient un blanc manteau de neige; le fumier immonde, une gracieuse fleur. C’est la poussière, ô femme, qui fait de tes joues le beau printemps.

« Peut-être ce souffle qui caresse doucement les feuilles flétries et passe sur moi a-t-il ravi quelques-uns des germes qui ont été la dépouille mortelle de mon père.

« La brise de nuit porte à l’exilé qui mendie les soupirs que sa sainte mère, sa maîtresse ou son fidèle ami lui envoient.