Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/1008

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au second concert, M. de Bulow a joué successivement et avec un grand succès la sonate pour piano, opéra 101, de Beethoven, un prélude et une fugue de Bach, transcrits pour le piano par M. Liszt. L’artiste a été moins bien inspiré, ce nous semble, dans l’andante-menuet et gigue de Mozart, mais il a retrouvé tous ses avantages dans la Promessa de Rossini, fort bien arrangée pour le piano par M. Liszt. En somme, M. de Bulow n’a qu’à se féliciter de l’accueil qu’il a reçu du public parisien, qui a su apprécier un talent plein de vigueur, d’éclat et d’une singulière netteté d’accent.

M. Emile Prudent, qui, tous les deux ou trois ans, revient sur la brèche avec beaucoup d’intrépidité, a donné deux concerts dans la salle de M. Herz, où il a fait entendre plusieurs de ses agréables compositions, qu’il intitule des noms les plus pittoresques : la Prairie, les Bois, le Printemps, le Chant du Ruisseau, etc. C’est le pianiste élégant, quoique peu original, de la riche bourgeoisie française, qui se pique d’aimer la musique, mais qui n’est pas encore assez avancée pour comprendre la bonne. M. Prudent a été fort applaudi et fort choyé par son public ordinaire, dont il possède toutes les sympathies. M. Louis Lacombe, un autre pianiste français d’un talent réel, a donné aussi un concert dans la salle de M. Herz, où il a exécuté plusieurs de ses compositions, qui ne se distinguent pas précisément par la variété. Que manque-t-il à M. Lacombe pour atteindre le but où tendent ses efforts et ses travaux divers ? Il lui manque l’étincelle, il n’a pas le rayon qui éclaire et vivifie l’artiste. Un pianiste français supérieur aux deux précédens, et qui n’a pas toute la réputation qu’il mérite, c’est M. George Mathias. Son exécution est admirable de délicatesse, de fini, de brio, et de précision sans efforts. Au concert qu’il a donné le 17 avril, M. Mathias a exécuté plusieurs morceaux de Chopin avec une grâce et une élégance dignes de la musique de ce maître exquis. M. Mathias, qui a fait de bonnes études sous la direction de M. Barbereau, un théoricien consommé, compose également des œuvres étendues et distinguées, qu’on voudrait plus originales. Si M. George Mathias se répandait davantage, il ne tarderait pas à être placé au premier rang des pianistes français. Que M. Mathias se garde d’imiter la sauvagerie dédaigneuse de M. Alkan aîné, ce maître des maîtres dans l’art du piano, dont il connaît tous les secrets, et qui cache sous une modestie exagérée un grand savoir.

Parmi les femmes artistes qui jouent excellemment du piano à Paris, nous devons citer d’abord Mme Szarvady (Wilhelmine Clauss). Elle a donné trois soirées musicales dans la salle Pleyel, où cette virtuose remarquable a fait briller les qualités de son beau talent, qui semble dédaigner la grâce pour la force, la poésie qui distinguait son jeu pour viser à la profondeur. Quel dommage de gâter ce que la nature avait si bien fait ! Mlle Joséphine Martin, au contraire, est une pianiste française dans la bonne acception du terme. Son jeu brillant, facile, alerte, plein d’étincelles et d’esprit, ne s’en fait pas accroire, comme on dit, et va droit au but. Au concert qu’elle a donné cette année dans la salle Herz, Mlle Joséphine Martin a exécuté avec éclat le concerto de Beethoven en mi bémol, et plusieurs morceaux de sa composition, dont une Danse syriaque, avec orchestre, qui est une fantaisie piquante. Mlle Joséphine Martin possède ce qui est si rare : le diable au corps. Après le jeune Ketterer, cet enfant bien né dont nous avons déjà parlé, et qui joue