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de derrière, et cela d’un seul coup, sans le secours de personne! As-tu jamais vu pied si agile pour danser toute la nuit le saltarello?

« En force et en courage, à nul chrétien je ne le cède ; malheur à qui me touche! Ils en savent quelque chose, messieurs les habits (païni) ! Mieux eût valu pour eux ne pas ouvrir la bouche. Le mont Testaccio le sait aussi, que j’ai du cœur! Et j’en donnai une fameuse preuve le jour que je tins tête à sept gendarmes et que j’en jetai quatre entre la porte et le mur.

« Je ne suis pas l’exemple de ces damoiseaux qui passent tout leur temps à se faire beaux; mais, dis-moi, Crezia, et ne va pas mentir pour redoubler contre mon cœur tes coups d’épingle et de marteau, dis-moi, bouche d’amour, où entends-tu mieux chanter les stornelli, faire plus longs les trilles, et plus sonores, quand tu m’inspires, ô doux trésor !

« Tu ne sais donc pas qu’à l’auberge du Pélican j’ai lutté d’improvisation avec Beppo! Les vers pleuvaient à la file; on aurait dit que je lisais dans un livre imprimé. J’ai chanté Scévola qui brûle sa main au feu, la belle Virginie, Lucrèce et sa grande douleur, et jusqu’aux oies du Capitole.

« Mais de ta fierté déraisonnable chaque jour me fait mieux voir la raison. Si je te parais affreux et haïssable, si je suis pour toi le plus laid museau du quartier, c’est que tu aimes le maussade Renzo. Renzo te plaît, ce grand vilain hypocrite qui dans les sacristies traîne ses sandales, sonne les cloches et vole les bouts de cierge.

« Oui, éternellement il tord le cou; on dirait, à le voir, un figuier par la pluie courbé ; il regarde en dessous, à droite et à gauche, et ne fait rien qu’en catimini. Dans les yeux, il a un faux reflet, comme le chrysocale ; en toute chose, il ressemble à un chat. Néanmoins tu lui lisses le poil et le caresses, tandis que tu me fuis et me méprises.

« Oh! cette mouche, je veux la chasser de mon nez, dût-il m’en arriver malheur; car, je le sens, le verre est plein jusqu’au bord. Que le diable se réjouisse si je me damne! Après tout, haies, fossés, précipices viendront en aide au pauvre bandit. Mais toi, Crezia, hélas! tu seras cause que ma tête sera mise à prix.

« Que sentira ton cœur, Crezia cruelle, quand tu verras les sbires suivre ma trace, ton fidèle revenir captif et enchaîné, le visage en sang; quand tu entendras le peuple furieux et plein de fiel crier après moi, comme au taureau blessé à la chasse : qu’il meure! qu’il meure! quand tu me verras enfin sous la main du bourreau ! »


M. Mamiani et le Trastevérin se soutiennent ici l’un l’autre. Pour trouver la véritable poésie, il faut descendre aujourd’hui dans ces classes populaires où les impressions ont encore toute leur force, toute leur fraîcheur. Malheureusement l’auteur des Rispetti revient bientôt à la poésie personnelle ou narrative. Je signalerai dans ce dernier genre une courte nouvelle indûment rangée parmi les idylles. Dans ce charmant poème intitulé una Madre et embelli, pour nos oreilles du moins, par la rime, que M. Mamiani délaisse d’ordinaire, mais sans laquelle un Français saisit avec peine l’harmonie du vers