Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/981

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alimenté les conjectures, réveillé des craintes, et l’Allemagne s’est enflammée soudain de tous les souvenirs de 1813, comme si elle se voyait menacée déjà d’invasions nouvelles par le système du premier empire renaissant tout armé. Or il est bien clair, que tout a pu renaître du premier empire, excepté le système de guerres et d’invasions qui a ensanglanté le commencement de ce siècle, parce que les circonstances ne sont plus les mêmes, parce que les intérêts, qui ont besoin de la paix, se sont immensément développés, parce que l’industrie et le commerce ont créé des rapports qui ne peuvent être longtemps interrompus, parce qu’il y a des solidarités morales qui n’existaient point alors, et qui se sont formées, parce que l’opinion publique était sans force autrefois, et qu’elle domine aujourd’hui les résolutions des gouvernemens, si bien qu’on l’a appelée une sixième puissance en Europe.

Que reste-t-il donc? Une question qui, dès le premier moment, a dépassé peut-être toutes les prévisions, que des méprises de plus d’une sorte ont contribué à obscurcir, et qui, pour marcher vers une solution heureuse, favorable à l’Europe aussi bien qu’à l’Italie, doit rester circonscrite dans ses limites naturelles, et être incessamment ramenée à ses vrais termes. Le terrain d’une négociation possible est aujourd’hui connu ou pressenti : il s’agit de fixer la situation respective de l’Autriche et de l’Italie. La question n’est point évidemment de demander dans un congrès à l’Autriche de renoncer à des possessions que les traités lui ont données; mais en même temps l’Europe a le droit de lui demander de se renfermer dans ses frontières, de renoncer à toute cette partie de sa politique qui est en contradiction avec les stipulations mêmes sur lesquelles repose l’ordre européen; elle a le droit de créer au-delà des Alpes une situation nouvelle où les états italiens, rendus à leur indépendance, puissent librement chercher leur sécurité dans le progrès régulier de leurs institutions, au lieu de la chercher dans une compression appuyée par une force étrangère. C’est là le terrain sur lequel peut agir la diplomatie, et si elle atteignait le but qui semble désigné à ses efforts, l’Italie elle-même n’aurait-elle pas fait un grand et réel progrès? Elle serait en possession de tous les moyens d’action morale pour se reconstituer, se régénérer par un travail permanent, sans avoir à traverser les redoutables épreuves d’une guerre ou d’une révolution. L’avenir serait ouvert devant elle, et cet ordre nouveau, qui serait un succès pour le Piémont comme pour toutes les puissances amies de l’Italie, n’aurait pas coûté à l’Europe un formidable et sanglant déchirement.


CHARLES DE MAZADE.