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des représailles; il se borna à protester au nom du droit, et il fit bien : l’Europe reconnut alors sa modération. Peu après, le roi Victor-Emmanuel était atteint de malheurs de famille successifs, par la mort des deux reines, par la mort de sa mère et de sa femme; le gouvernement sarde notifiait à Vienne ces deuils réitérés, qui devaient toucher la maison d’Autriche elle-même, puisque les deux reines étaient archiduchesses; cette notification restait, dit-on, sans réponse. Lorsque les rapports diplomatiques ont été rompus, il y a deux ans, entre les deux pays, qui prenait l’initiative de cette rupture si ce n’était le cabinet de Vienne? Et puis, lorsque le Piémont voit la puissance autrichienne se déployer de toutes parts à ses portes, aller du Lac-Majeur à Pavie le long du Tessin, garder la ligne du Pô de Plaisance à Ferrare, développer ses fortifications, s’étendre par les duchés de Parme et de Modène jusqu’au sommet de l’Apennin, d’où elle domine la côte piémontaise de la Méditerranée, lorsqu’il se voit ainsi enlacé dans un cercle de frontières si bien gardées et d’influences qui lui ferment presque l’entrée du reste de la péninsule, comment le Piémont serait-il complètement rassuré? Matériellement donc, dans l’ordre des événemens, des rapports suivis entre les cabinets et de tous les faits qui caractérisent la situation respective des deux états, ce n’est pas le Piémont qui a pris l’initiative des procédés d’agression et de menace.

J’en conviens toutefois, M. de Buol a raison sur un point dans ses dépêches, et M. de Cavour ne décline pas cette responsabilité dans ses répliques : le Piémont est agressif par la liberté de ses institutions, par son esprit, par son prosélytisme d’indépendance, par sa tribune, par le retentissement de ses discussions. Le libéralisme ne régnait pas à Turin il y a trente ans, et M. de Metternich disait déjà dans une dépêche du 26 mars 1822 au baron de Vincent: « Le Piémont est le nid de la secte qui cherche à nourrir le feu de la révolution; aucun pays n’offre plus de facilités aux desseins et aux infatigables menées des factieux, et voilà pourquoi ceux-ci l’ont choisi comme le siège principal de leur travail. » Le Piémont est constitutionnel aujourd’hui, et le danger est plus pressant, surtout plus ostensible. L’agression n’est point dans les actes, elle est dans la pensée, dans l’effort moral d’un gouvernement résolu à maintenir une politique libérale. Pourquoi donc en est-il ainsi? Parce que le libéralisme en Italie est par la force des choses une des formes de l’indépendance, une arme naturelle d’affranchissement national. Des parlemens à Florence et à Parme comme à Turin ne pourront contenir l’expression du premier sentiment qui vit dans l’âme des Italiens. La force morale qui se développera dans ces pays par la liberté et par des institutions plus viriles tournera au profit