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elle, ne pouvait en résulter. « La population suburbaine, a dit M. Le préfet, a compris d’instinct, avec une certitude suffisante, que ses intérêts au point de vue des charges publiques n’étaient nullement compromis par l’extension de l’enceinte parisienne, qu’ils en seraient plutôt favorisés, et elle s’est généralement abstenue. »

Néanmoins des réclamations se sont produites avec une certaine énergie. On a contesté d’abord la convenance et l’opportunité de la mesure. A qui donc peut-elle profiter? dans le présent, ce n’est pas à coup sûr à la population parisienne, car M. Le ministre de l’intérieur l’a dit lui-même : « Sait-on ce qu’il peut en coûter à la ville de Paris pour étendre aux services des territoires annexés son régime et ses avantages? » A son tour, M. Le préfet de la Seine a loyalement déclaré que « l’augmentation des dépenses ordinaires sera à peine balancée par celle des recettes, et que d’une part l’amortissement des dettes afférentes aux territoires annexés que le projet met à la charge de la ville de Paris et qui se montent à 4 millions, d’autre part tous les travaux extraordinaires très considérables à exécuter dans la zone suburbaine seront pour le budget de Paris une aggravation de charges sans compensation. » L’avantage serait donc du côté des communes suburbaines! C’est ici qu’éclate une grave dissidence : pour le commerce et l’industrie des communes suburbaines, a-t-on dit, l’annexion c’est la ruine, car un jour ou l’autre elle doit les soumettre aux charges de l’octroi et à toutes celles du budget de la ville de Paris ; dans les atténuations offertes, dans l’exonération qu’on leur propose, on ne peut voir qu’un moyen de les aider à mourir un peu plus lentement. On a fait appel à ce sujet aux débats de 1841 sur la loi de fortification, au Moniteur de 1852 rassurant la population suburbaine, à la veille des élections, contre les bruits d’annexion répandus alors, et à l’aide desquels les partis espéraient « abuser la banlieue de Paris par cette fausse nouvelle et refroidir son zèle... » A tout cela sans doute il s’est mêlé beaucoup de vivacité, quelque passion peut-être ; on ne doit pas s’en étonner : les questions d’intérêt privé sont toujours brûlantes, et il y a quelque chose de respectable dans l’ardeur même avec laquelle on les débat. Ces réclamations, il nous semble, sont de nature à préoccuper vivement le pouvoir législatif; elles sont élevées pour la plupart au nom de ces établissemens qu’un rapide essor industriel a fait surgir autour de Paris, au nom de cette immense population d’ouvriers qui s’est groupée auprès de ces établissemens qui les emploient et les font vivre. On ne peut dissimuler que tout cela ne subsiste et ne peut subsister, hommes et choses, que par les franchises de l’octroi, et quant à l’annexion, elle n’était peut-être pas à ce point dans les prévisions qu’on puisse taxer d’imprévoyance coupable ceux qui ne la supposaient pas si prochaine.