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En Italie, on excelle à calculer les résultats, à donner aux moyens dont on dispose la force précisément nécessaire pour atteindre le but, à éviter de compromettre le succès par des paroles ou des démarches inopportunes. On y voit parfois une nation tout entière garder un silence avisé sur une question fondamentale : que l’opinion ait des organes suffisamment libres, que la préoccupation soit extrême, il n’importe; il est expédient que l’on se taise, et l’on se tait.

Ainsi s’explique la réserve qu’on a pu remarquer chez d’illustres Piémontais, tels que d’Azeglio, Gioberti, et surtout César Balbo, le centre conciliateur de ce triumvirat de patriotes. Son œuvre antérieure à 1848 ne peut être bien comprise, si on ne la rapproche de celle de ses contemporains. S’il met si peu d’âpreté dans ses remontrances contre les ennemis de la liberté, c’est que l’abbé Gioberti en a dit assez sur eux dans le Jésuite moderne. S’il ne fait pas sentir aux autorités despotiques quelle part de responsabilité leur incombe dans les désastres des insurrections populaires, c’est que les Casi cli Romagna de Maxime d’Azeglio ont donné cette leçon aux princes autant qu’elle pouvait leur être donnée. Son rôle à lui, c’est de rassurer tout le monde, et de faire mettre le sceau papal à l’alliance que toutes les puissances italiennes doivent conclure un jour ou l’autre. Pour s’en acquitter utilement, Balbo se soumet à tout; il ne dit même pas un mot de son idée favorite, la monarchie représentative, et il s’en tient, avec une héroïque abstinence de langage, à son programme modestement libéral de 1821. Il fait pénétrer ainsi l’idée rénovatrice jusque dans le Vatican, où n’aurait pas eu accès une déclaration de droits trop nette et trop claire. Il se fait, de son propre chef, le ministre prudent d’un roi timide; un bruit généralement accrédité attribue aux inspirations de Charles-Albert le livre des Speranze, tant l’auteur a discrètement remis sur le tapis les anciennes vues du prince de Carignan. Malgré son isolement des affaires et son éloignement de la cour, le publiciste indique si bien les véritables intérêts de la nation, que ses ennemis ont beau jeu à dire qu’il est un émissaire, et que son livre est un manifeste.

On vient d’accorder une juste part d’éloges aux mérites de ce qui pourrait s’appeler la première manière de Balbo. Il ne faudrait pas oublier cependant que les qualités du sujet ne sont pas toujours celles du citoyen, et qu’il est certaines vertus propres à l’asservissement qui deviennent des vices chez les hommes libres. Tels sont ces déguisemens de pensée qu’il a fallu signaler chez Balbo, et qui ne s’accordent point avec la liberté et la franchise d’opinions sur lesquelles repose le système parlementaire. La critique ne peut tenir compte, en thèse absolue, ni des transactions imposées à l’écri-