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La réaction serait exagérée, si elle allait jusqu’au remplacement des kadis eux-mêmes, suivant le vœu de quelques esprits. Les justes désirs des indigènes sont assez difficiles à satisfaire sans qu’il soit besoin de les dépasser. La justice des kadis a si intimement pénétré dans la vie des Arabes comme émanation du Koran, elle va si bien à leurs goûts par sa promptitude, sa simplicité, son apparente économie, qu’ils verraient dans la suppression de cette magistrature indigène une atteinte à leurs droits, sinon à leur religion. Les subsides qu’ils donnent à leurs juges ne sont probablement pas plus lourds que les épices de la magistrature chrétienne en d’autres temps, pas plus que les taxes qu’ils auraient à payer aux avocats, avoués, huissiers, greffiers, et ils perdraient la consolation, inappréciable pour tous les plaideurs, d’expliquer eux-mêmes leur cause à leurs juges dans leur propre langue. Laissons donc aux Arabes leurs kadis jusqu’à ce qu’ils s’en plaignent eux-mêmes : alors, d’un commun accord, ils porteront leurs conflits devant la justice française, comme ils ont droit de le faire. Quand cette pratique sera devenue générale, la justice musulmane aura fait son temps. En attendant, réduisons la compétence en dernier ressort, et accordons aux indigènes qui auront obtenu la naturalisation le privilège, reconnu dès aujourd’hui aux Européens et aux Israélites, d’entraîner leurs adversaires devant les tribunaux français. Attribuons encore aux tribunaux de droit commun le jugement des délits et des crimes déférés aux conseils de guerre, quand ils sont commis en territoire militaire; enlevons surtout à ces conseils toute juridiction sur les Arabes qui habitent en territoire civil. Pour les faits qui, sans rentrer dans les prévisions du code pénal, troubleraient ou menaceraient la paix publique, le commandant supérieur de l’armée, seul ou assisté d’une commission disciplinaire, est nanti envers les indigènes de tous les pouvoirs nécessaires pour préserver l’ordre : la politique consent, et la justice ne proteste pas.

Dans le système des impôts, les réformes sont moins difficiles : tout peuple dont on allège les charges se tient pour content; sur ce chapitre, aucune habitude ne triomphe d’un intérêt immédiat et bien palpable. C’est une satisfaction que nous pouvons nous donner envers les tribus de l’Algérie, tout en élevant le revenu net du trésor public par de sérieuses modifications dans l’assiette et la perception des impôts, les plus vicieuses qui se puissent imaginer. Le principal, connu sous le nom d’achour (littéralement la dîme), se règle sur le nombre des charrues, ce qui invite à prolonger les labours avec un seul instrument au-delà de la saison favorable, au lieu d’en employer plusieurs simultanément en temps opportun; il se rectifie ensuite d’après le rendement moyen des surfaces et sur le prix moyen des céréales, élémens d’une appréciation tout à fait arbi-