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de départemens : imitation prématurée de la révolution de 1790, contre laquelle protestent les traditions, les sentimens et le langage, tous sympathiques à des agrégations naturelles qui durent depuis vingt siècles, presque toujours identiques à elles-mêmes sous des appellations et des fortunes diverses. Les départemens viendront à leur jour et à leur heure. Aujourd’hui, pour une population européenne de moins de deux cent mille habitans, grossie de quelques milliers d’Arabes, trois préfets suffisent. A mesure que cette population s’accroîtra, et jusqu’à ce qu’elle atteigne un chiffre de quelques millions d’âmes, il suffira de créer de nouveaux arrondissemens, et d’agrandir, au lieu de le restreindre comme on le fait, le rôle des sous-préfets. Toute innovation de cet ordre secondaire est admissible, parce qu’elle n’entame pas l’unité du budget provincial et n’amoindrit pas les conseils-généraux, ces deux vives et libres forces de la colonie.

Chacune des trois provinces se divise en territoire militaire et territoire civil. L’Algérie étant le prix de vingt années de glorieux combats, le gouvernement militaire devait en obtenir l’administration pendant la première période; peut-être seulement depuis une dizaine d’années l’inégalité d’étendue entre les deux territoires aurait-elle pu s’atténuer davantage. Les couleurs civiles n’ont apparu que vers 1845, flottant sur d’étroits lambeaux du sol, autour des villes, et elles n’ont étendu leur domaine d’année en année qu’avec une extrême lenteur. A voir les cadres actuels des territoires civils dessinés sur une carte, on dirait des enclaves resserrées, étouffées entre les territoires militaires. Il serait consolant de penser qu’une disproportion si peu justifiée ne tardera pas à s’atténuer. L’extension n’est pas du reste sans difficulté. Pour être facilement administrées, des populations arabes doivent être annexées à quelque centre européen régulièrement constitué : en les rattachant toutes directement aux bureaux arabes civils qui siègent dans les seuls chefs-lieux de préfecture, on tomberait dans un excès de centralisation qui rendrait leur condition plutôt pire que meilleure. Or il s’en faut que ces centres européens existent sur tout le territoire arabe.

Conduite avec le tact et la mesure nécessaires, l’évolution vers le régime civil est légitime, mais pour des raisons tout autres que celles que l’on suppose d’ordinaire. L’esprit français, disposé à rapporter le bonheur et le malheur public aux administrateurs, croit à la grande supériorité des fonctionnaires civils sur les fonctionnaires militaires, et c’est pourquoi il les réclame à tout propos. L’expérience apporte en Algérie quelque réserve à cette opinion. Homme pour homme, les militaires s’y montrent de tout point égaux aux civils pour la capacité comme pour l’honorabilité. Plus puissans