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un regard dont il comprit l’ardente et énergique pureté, je vous la confie comme je la confierais à son ange gardien. Je sais qu’elle sera votre femme aussitôt que vous trouverez un refuge et un prêtre. Tenez, Fabio, prenez-la, je la mets sous votre garde et sous la garde de votre mère morte pour vous et que j’ai tant aimée.

Quelques jours après l’action sanglante qui s’était accomplie au château de Moria, l’union de Thérèse et de Fabio était bénie en France par un prêtre espagnol; mais un mois à peine après son mariage Thérèse rejoignait son frère. Elle avait subi des épreuves trop fortes pour son enveloppe mortelle. Cruentaz tomba dans cette mélancolie qui est un abîme côtoyé par beaucoup d’entre nous, mais dont ne sort plus celui qui s’y est jeté hardiment

Quand il sentit les premières atteintes de la maladie dont il mourut, il voulut se rendre dans un doux et beau pays, non point pour chercher une guérison qu’il ne souhaitait pas, mais pour sentir plus vifs et plus chauds quelques rayons de la lumière terrestre avant de s’en aller aux régions de la lumière éternelle.

Dans cette ville, où il a rendu le dernier soupir, il rencontra la femme dont j’ai déjà parlé au commencement de ce récit. Les femmes sont d’admirables berceuses et des ensevelisseuses divines. Les derniers instans de cet homme, si familier avec les trépas brusques et violens, furent adoucis par tout ce qui peut voiler l’âpre et cruel éclat de la mort. — Je n’ai point mérité, dit-il un jour en souriant, de descendre par cette pente gracieuse au tombeau. — Il s’abandonnait à une affection dont il fut profondément touché, mais qui ne le détournait pas un instant de ses saintes tendresses, et qui n’aurait pas pu lui faire accepter la vie, si la vie eût été un présent dont elle eût pu disposer. Cependant il voulut léguer quelque chose de son âme à celle qui s’inquiétait de ses moindres pensées avec tant de bonté et tant de charme. De Là quelques confidences, quelques mots parvenus jusqu’à nous, et qui sont toute la valeur de ce qu’on vient de lire. Une des paroles qu’il répéta le plus souvent en ces derniers jours, c’est cette parole d’un livre sacré : «Les violens enlèvent le ciel. » J’aime cet axiome mystique, et je le crois sans danger. Rien de plus rare ici-bas que cette violence noble et sincère dont l’âme divine est émue. Si elle conquiert les biens célestes, à coup sûr elle ne conquiert pas les biens de ce monde. Souhaitez-lui donc de ravir le trésor idéal qu’elle ambitionne, et que tant de tristes natures laissent malheureusement en sûreté.


PAUL DE MOLENES.