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où des rêves lugubres n’aient point l’air de peser sur les tombes. Ce jeune homme et cette jeune femme se regardèrent tous deux, et tous deux reçurent une impression qui n’a rien d’étrange quand on pense aux lieux où ils se rencontraient. Fabio arrêta son cheval et laissa passer l’aimable apparition à côté de lui ; puis, quand cette gracieuse figure eut disparu au détour de l’allée, il fit signe au spahi qui l’accompagnait. Ce cavalier s’élança rapidement à terre, prit sa monture et celle de son maître. Au bout de quelques instans, Fabio avait rejoint celle qui venait de l’arracher à ses pensées habituelles pour le jeter soudain à la poursuite d’une aventure imprévue.

À l’entrée du cimetière arabe, il y a quelques ruines romaines, entre autres une sorte de sépulcre qu’on appelle le tombeau de la jeune mariée. C’est un monument assez bien conservé, où l’on distingue encore des bas-reliefs qui ne sont pas dépourvus de grâce. Une de ces compositions représente un amour qui d’une main s’essuie les yeux par un geste enfantin vraiment touchant, et de l’autre éteint un flambeau. Julia s’était assise sur un tronc d’arbre en face de cette tombe ; elle avait ouvert sur ses genoux un album et semblait dessiner. Fabio s’approcha d’elle lentement sans qu’elle entendît ou voulût entendre son pas, et il aperçut la figure de cet amour désolé qui se reproduisait sous les jolis doigts de la jeune femme. Il lui parla, ce qui n’est pas fort étonnant. On conviendra que ce n’était pas un acte d’audace bien étrange chez un officier de spahis rencontrant une ravissante créature aux confins d’un désert. Elle lui répondit sans embarras, sans colère, loin de là, avec bienveillance, ce qui n’a rien de surprenant non plus, si l’on songe à la vie que menait et à l’éducation qu’avait reçue la pauvre Julia.

Le sujet de conversation qui tout naturellement s’offrait à eux le premier était de ceux qui permettent à deux esprits de se joindre et à deux cœurs de s’entrevoir.

— La mélancolie de cette tombe ne vous effraie donc pas ? avait dit Fabio.

— Hélas ! répondit Julia, la mélancolie de cette tombe n’est rien auprès des tristesses de ma vie. S’il faut en croire les dessins que j’essaie de reproduire, celle que ce sépulcre a renfermée ne fut pas étrangère aux joies de ce monde. On a pu mettre sur son tombeau un amour qui pleure ; cette figure-là serait sur ma tombe un mensonge bien sot et bien odieux.

Vous pouvez juger de l’allure que prit sous le ciel africain, entre le fils de l’Espagne et la fille de Marseille, l’entretien qui s’engageait ainsi.

À cette époque, M. Féraudy était en voyage ; on ne l’attendait pas avant deux mois. Un seul homme allait quelquefois chez Julia, et