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seulement ces ondes dorées étaient animées d’une vie mystérieuse : tantôt elles semblaient soulevées par les caresses des souffles invisibles, tantôt elles retombaient mornes et lourdes dans un affaissement voluptueux.

Quelle était cette femme? D’où venait-elle? Comment se trouvait-elle en Afrique? C’est ce que je vais vous dire tout de suite en quelques mots, car j’ai l’horreur profonde des surprises. Julia était née à Marseille. On sait que cette ville a produit une Vénus autrefois. La mer, aux rivages marseillais, est d’un bleu aussi attrayant qu’aux rivages de la Grèce. Rien d’étonnant à ce qu’une beauté accomplie soit venue au monde dans ce pays-là. Les parens de Julia sont inconnus. La pauvre enfant était élevée chez une vieille femme d’une célébrité fâcheuse qui nourrissait à son endroit des espérances dépravées; ces espérances ne furent que trop justifiées. Un homme de spéculations hasardeuses, une sorte de corsaire bourgeois qu’on accusait d’avoir fait le commerce des nègres, M. Justin Féraudy, eut l’idée qu’avait mise en pratique, suivant Jean-Jacques, je ne sais quel libertin émérite dont j’ai oublié le nom. Il enleva la jolie créature à sa détestable duègne, et se mit à l’élever pour en faire plus tard la compagne de son existence mal remplie. M. Féraudy entrait dans sa quarantième année quand il conçut et exécuta ce projet. A seize ans, Julia portait le nom d’un homme qui ne l’avait pas épousée, mais qui s’était emparé de sa vie et en avait fait le jouet de tous ses caprices. A la suite de ce maître égoïste et vieilli, elle avait déjà parcouru bien des contrées. Féraudy était venu poursuivre en Afrique la fortune, qui, encore plus rusée que lui, l’avait trompé bien des fois, et c’est ainsi qu’elle habitait Hirca.

Sa maison était une vaste fabrique située au bas du coteau qui dominait le Tell. Elle était environnée d’eaux vives, et l’on y descendait de la ville par un sentier ombragé que Fabio avait remarqué plus d’une fois. Ce fut dans ce chemin que se rencontrèrent deux êtres dont les destinées n’auraient jamais dû se réunir un seul instant. L’Espagnol était à cheval, revêtu de ce beau costume oriental que les officiers indigènes portent encore dans les spahis. Je ne veux pas dépeindre Cruentaz. Il existe plusieurs portraits de lui. On connaît ce visage brun éclairé par des yeux noirs remplis de tristesse et d’énergie. On peut préférer assurément beaucoup de figures à la sienne; mais il a un de ces regards qui disent : « Je vais au danger, suivez-moi. » Or quelques hommes et toutes les femmes répondent, un instant du moins, à l’appel de ces regards-là.

Julia était à pied, elle avait sur la tête une sorte de coiffure montagnarde en laine rouge; elle se dirigeait vers un de ces charmans cimetières orientaux, les seuls lieux consacrés au sommeil éternel