par un jet d’eau jaillissant d’un large bassin de pierre, ombragée à ses extrémités par de grands figuiers, et peuplée nuit et jour comme un Éden d’êtres appartenant à toutes les espèces sous lesquelles s’est produite la puissance créatrice de Dieu, d’hyènes, de chacals et même de lions apprivoisés, d’autruches à la démarche lente et mesurée, enfin de ces hommes dont les mœurs et les habits n’ont point changé depuis des milliers d’années. Fabio se plaisait au milieu de cette population primitive; il ne quittait guère sa demeure que pour monter à cheval et aller faire quelque course aventureuse chez des tribus insoumises. Il partait à la tête des goums et de quelques spahis; il restait tantôt des jours, tantôt des semaines, tantôt des mois entiers sous la tente, pratiquant cette justice armée si nécessaire chez des peuples où les anges eux-mêmes paraissaient autrefois avec l’épée, puis revenait dans son foyer goûter les charmes sérieux d’une vie antique. Cette existence moderne, qui, dans les colonies, se produit d’ordinaire sous son aspect le plus déplaisant, le plus tumultueux, le plus vulgaire, lui était complètement inconnue. Son manoir ignorait l’usine, la taverne, la boutique du Juif. Le destin ne tolère pas longtemps de semblables ignorances dans une époque comme la nôtre. Fabio devait perdre cet asile où il défiait l’activité bruyante et sordide de la vie civilisée. Il n’avait pas compté sur l’être faible et tout-puissant qui se rit de tous les desseins de notre cœur et de tous les arrangemens de notre vie. Auprès de cet ami des lions, de cet homme de poudre, de ce maître du bras, pour parler la langue des Arabes, vivait une femme qui s’appelait Mme Julia Féraudy.
Je ne sais ce qu’en auront fait les années et une vie malfaisante; mais il y avait alors dans sa personne toute sorte d’enchantemens qu’on eût été forcé de subir, je crois, même avec un cœur moins passionné que celui de Fabio et en des lieux bien différens d’Hirca. C’était une beauté antique, et à ce mot ne vous imaginez pas une femme avec des traits droits et sévères, dont le profil semble fait pour s’accorder avec la visière d’un casque. Elle n’avait rien d’une Minerve; seulement elle appartenait par une fraîcheur éblouissante, par une grâce remplie de provocations, au monde de la chair glorifiée. C’était une de ces figures comme les prêtent aux vierges de la Grèce quelques peintres de nos jours qui, à mon sens, ont merveilleusement compris une religion toute de jeunesse et d’ardeur. Ses narines mobiles et rondes, au-dessus d’une bouche rouge et humide toujours entr’ouverte par le sourire, faisaient songer d’oiseaux et de fleurs. Le regard de ses grands yeux, d’un bleu pâle qui parfois prenait des teintes vertes, était une vraie fête de printemps. Ses cheveux abondans avaient ces ondes chères au ciseau du sculpteur.