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parfois mon père et mes oncles, que nous avons dans les veines du sang maure. Je ne les croyais pas et puis les croire encore à peine de la même race que les hommes dont elles sont les compagnes. Elles avaient un regard qui pénétrait avec tant de grâce et tant de sûreté dans mon cœur pour y découvrir et y flatter les sentimens dont je suis le plus fier, les pensées dont je suis le plus épris ! Elles semblaient me dire : « Nous sommes les éternels refuges de tout ce qui est beau, noble, généreux et pur. » Je les prenais pour des Ariels accouplés à des Calibans. Je ne veux raconter ni ce que j’ai surpris ni ce que j’ai souffert.

« Il est bien certain toutefois que les femmes, malgré leur charme surnaturel, malgré cette puissance inconnue et cet éclat mystérieux dont elles sont douées, subissent tout comme nous l’action des lieux, des temps et des sociétés où elles naissent. Celles des régions où je vivais ne pouvaient pas avoir les passions élevées et fortes que je m’obstinais à leur demander. Quelques-unes d’entre elles, s’il fallait en croire certains bruits, avaient jusqu’aux appétits sordides de ces hommes qu’elles semblaient dominer de si haut. On m’en a cité qui, disait-on, étaient possédées de ces fièvres du lucre dont la société française est travaillée, et qui, Chevreuse ou Longueville d’une nouvelle espèce, au lieu des intrigues politiques, mêlaient à l’amour des intrigues financières. Je veux croire que ce sont là des calomnies; mais il faut avouer que c’est folie d’exiger chez les femmes d’une société égoïste, intéressée, légère, toutes les ardeurs de l’enthousiasme, toutes les énergies du dévouement: c’est déjà beaucoup qu’elles aient la poétique apparence de ces vertus.

« Cette apparence, je la leur ai trouvée, et j’aurais tort de médire d’elles. Quand je ne les respecterais pas à d’autres titres, je devrais les respecter comme des illusions; mais j’avais à faire une éducation que j’ai faite rudement. Vous qui connaissez si bien la société parisienne, vous imaginez-vous ce qu’a été pour moi telle ou telle personne dont vous voyez d’ici les expressions et les attitudes, quand on me présentait en disant : « C’est don Fabio de Cruentaz, celui qui a souffert si cruellement et qui s’est fait un nom si terrible en Espagne? » Je rencontrais des regards si intelligens et si bons, remplis d’une lumière si douce et si brillante, que mon âme s’y élançait tout droit, croyant entrer au paradis. Eh bien! j’ai aimé, vraiment aimé une de celles dont les yeux m’avaient fait cet accueil, je l’ai aimée avec une confiance entière, une foi absolue, et un jour où je lui dis….. Voilà que je retombe dans ce que je voulais éviter ; me préserve le ciel des confidences !... Seulement je puis vous déclarer que Dieu a puni bien sévèrement le fils de ma mère d’avoir tiré certaines paroles de son cœur.