murs par une sorte de fait en même temps explicable et merveilleux. Le sourire et le regard dont nous avons parlé, il les avait recueillis, disait-il, d’une manière aussi vive, aussi nette, aussi sensible que le dernier mot, le nom sacré prononcé par la bouche de cette victime, et le bruit des coups de feu qui avaient mis fin à l’agonie de ses espérances pour le jeter dans le gouffre embrasé de sa douleur.
Il se dirigeait vers la cour, lorsqu’il aperçut dans le fond du salon ce qu’il allait chercher, sa mère, que l’on avait étendue sur un lit de repos, parée de ses vêtemens les plus riches. Il s’agenouilla devant ce cadavre entre deux femmes, vieillies toutes deux dans sa maison, qui avaient rendu à la morte ces derniers devoirs. En se relevant, il aperçut Toreja, qui s’était mis silencieusement à genoux derrière lui. Il jeta sur ce serviteur un regard où un moment on aurait pu lire une sentence de mort; mais après un instant de silence : — Tu lui as obéi, dit-il, et ce n’est pas moi que j’ai à venger.
Non, ce n’est pas lui qu’il vengeait; de là l’éclat qu’eut sa vengeance. Allez aujourd’hui encore dans la partie de la Navarre où Cruentaz s’est battu depuis le meurtre que nous venons de raconter, et l’on vous dira qu’il n’y a pas sur tel chemin un arbre auquel il n’ait fait porter d’étranges fruits, car il prétendait que le trépas de sa mère ne devait pas être celui de ses ennemis, que les balles ne devaient pas faire la besogne de la corde. Son nom restera dans les guerres civiles de l’Espagne ce que sont restés dans les guerres religieuses de notre pays les noms de Montluc et de Des Adrets, et, chose frappante pourtant, on ne vous parlera jamais de lui avec horreur. Il inspire lui-même plus de pitié, quand on songe à ce qu’il a subi, que tous ceux dont il a répandu le sang. Aussi est-il entouré d’une sorte d’attrait étrange mêlé de compassion et de terreur. Je sais des femmes entre les plus délicates, les plus frêles, les plus éloignées par leur âge, par leur condition, par leur nature, de toutes les images et de toutes les pensées effrayantes de cette vie, qui, en entendant raconter ses épreuves, se sont écriées, leurs petites mains tendues vers le ciel : — J’aurais fait comme lui!
Nul ne lui échappa de tous ceux qui avaient pris part à l’assassinat de sa mère. Son château avait été envahi, mais il vivait dans les ravins, dans les forêts, et là il tenait en échec avec une poignée d’hommes toutes les troupes lancées à sa poursuite. Un jour vint cependant qui vit finir ces merveilles de fortune et d’audace. Un matin il arriva en France harassé et blessé. Écoutez-le vous dire lui-même comment il traversa et quitta Paris.