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lissades et des retranchemens derrière lesquels sa troupe attendit les assiégeans de pied ferme. Les Turcs s’ébranlèrent bruyamment au point du jour, et se mirent en marche après que les derviches eurent salué le soleil levant de la prière accoutumée. Jamais pareille ardeur n’avait animé les troupes ottomanes. Elles jetèrent leurs fusils pour avancer plus vite, comptant bien emporter d’assaut à l’arme blanche les faibles retranchemens qu’elles avaient devant elles. Les Turcs n’étaient déjà plus qu’à dix pas des Souliotes, quand les klephtes exécutèrent une fusillade bien nourrie qui fit reculer les soldats du vizir. Cinq fois de suite, entraînés par les menaces et les promesses des chefs, les Turcs s’élancèrent contre les retranchemens des Souliotes sans parvenir à les entamer. Déjà les klephtes ne pouvaient plus se servir de leurs carabines, devenues brûlantes; ils continuèrent à se défendre à coups de pierres. Ce singulier combat, où quatre cents hommes tenaient tête à dix mille, durait depuis cinq heures, quand ceux qui étaient restés dans la forteresse prirent part à l’action, en lançant sur les masses ennemies d’énormes avalanches de troncs d’arbres et de quartiers de roches. Ces gigantesques projectiles causèrent un épouvantable ravage; les Turcs tombaient par centaines. A la fin, le découragement et la terreur se mirent dans leurs rangs décimés; ils se retirèrent à Kiapha, poursuivis par les injures et les huées des femmes souliotes. Après cet échec, Ali courut enfermer sa honte et sa colère au fond de son palais de Janina.

Malgré ces prodiges de valeur, Souli n’existait plus que par l’héroïque opiniâtreté des défenseurs de Kounghi. Pendant sept jours, Samuel, qui voyait avec douleur approcher le terme de sa mission; Tsavellas, qui n’aspirait qu’à trouver un tombeau sur cette terre aimée, au salut de laquelle il avait glorieusement, mais inutilement consacré sa vie; Chaïdo, qui dans un corps de femme possédait une âme toute virile, soutinrent par leur exemple les forces défaillantes de leurs compagnons d’armes. Jour et nuit Photos, qui semblait avoir perdu le sentiment de la fatigue, exécutait de sanglantes sorties; mais un ennemi plus inexorable et plus terrible que les Turcs, la famine, qui depuis le commencement de la guerre était l’éternelle menace suspendue sur la tête des Souliotes, préparait la reddition de Kounghi. L’eau même manquait aux montagnards. Pour calmer les cruels tourmens de la soif, ils n’avaient d’autre ressource que de lancer du haut des rochers à pic dans le lit de l’Achéron, creusé à huit cents pieds au-dessous de Sainte-Vénérande, de grandes éponges qu’ils retenaient par de longues cordes, et dans lesquelles ils introduisaient une balle pour les faire tomber plus sûrement. Ils exprimaient sur les lèvres des enfans et des femmes le peu d’eau qu’ils parvenaient à se procurer ainsi.