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core remporté d’autre avantage que celui que la trahison leur avait procuré; mais la famine commençait à se faire sentir parmi les assiégés.

Que devenait Tsavellas au fond de sa prison, tandis que ces graves événemens se passaient à Souli? Instruit presque jour par jour des succès ou des revers de ses compatriotes, de tous les maux qu’il endurait celui qui l’accablait le plus, c’était la vie elle-même, il semblait qu’Ali ne la lui eût laissée que par un raffinement de cruauté, afin de le rendre spectateur impuissant du désastre de sa patrie, et d’ajouter de nouvelles tortures à ses angoisses déjà si poignantes. La prise de Souli fit éprouver au pacha de Janina l’une des plus grandes joies de sa vie; mais Ali tenait à hâter le terme de son triomphe, dans la crainte que ce triomphe ne se changeât, comme par le passé, en quelque grande défaite. Il tira Photos de son cachot, jugeant que le moment était venu de mettre à profit ce précieux otage.

En voyant les traits méconnaissables, les joues creuses et la faiblesse extrême de son prisonnier, Ali feignit une pitié profonde, et, levant les deux bras au ciel, il s’écria : — Ah ! Tsavellas, si tu avais voulu me servir avec fidélité dès le commencement, je n’aurais pas dépensé tant d’argent et de sang pour prendre Souli. Et toi, tu ne serais pas réduit à ce triste état !

— Tu as pris Souli, répondit Tsavellas, mais tu ne tiens pas les Souliotes, et ta conquête n’est pas assurée. J’ai réfléchi, et j’ai résolu d’être tout à toi à partir de ce jour. Laisse-moi partir pour la montagne, si tu veux en être définitivement le maître.

— Comment te croire? Tu m’as déjà trompé une fois : qui me dit que tu ne veux pas me tromper encore?

— Je te donnerai mon fils pour gage de ma bonne foi, répondit Photos.

— Ce n’est pas assez, dit le vizir; je veux toute ta famille. Tsavellas ordonna sans hésiter que sa femme et ses enfans fussent remis entre les mains de Vély-Pacha pour être envoyés à Janina. C’était les perdre, car il voulait tenter un dernier effort pour sauver son pays; mais dans cette âme de Spartiate la famille n’était rien à côté de la patrie. Deux jours plus tard, il partait pour la montagne, après s’être engagé à en faire sortir trois cents hommes, qui, disait-il, n’hésiteraient pas à le suivre. Muni d’un sauf-conduit, il se rendit auprès de Vély-Pacha, afin de se concerter avec lui et d’assurer un libre passage aux transfuges. Photos fut saisi de douleur et de colère au moment où il se vit obligé d’exhiber la signature du vizir pour rentrer dans son propre village; il eut peine à contenir son indignation en présence du pacha, car ce dernier avait insolemment