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ses propres dangers, il trouva le moyen de correspondre, du fond de sa prison, avec les défenseurs de Souli. Par un émissaire dévoué, il les exhortait à combattre sans relâche, à ne s’inquiéter de lui en aucune façon, et surtout à ne faire de sa délivrance le motif d’aucun traité. En même temps il recommandait secrètement à Samuel de dire des messes pour le repos de son âme, car il ne comptait cette fois ni sur les hommes ni sur les événemens pour l’arracher vivant des mains de son implacable ennemi.

La Nouvelle Pandore[1] a publié quelques fragmens d’un poème couronné à Athènes dans un concours académique, Myrsini et Photos, dont l’auteur place à cette époque de la vie de Tsavellas un épisode amoureux, et fait rompre les chaînes du captif par les mains d’une femme. Cet épisode ne peut nous arrêter : il paraît une pure fiction poétique. Ni l’histoire ni les souvenirs populaires que nous avons recueillis n’offrent de trace d’un incident de cette nature, qui semble du reste se concilier peu avec l’austère physionomie d’un homme dont toutes les pensées et toute l’énergie étaient absorbées par les soins qu’exigeaient sa vengeance personnelle et le salut de la patrie.

Cependant Ali-Pacha restait inactif, quoique toujours menaçant, sur sa ligne de blocus. Il traînait la guerre en longueur, ne se croyant pas encore assez puissant pour enfreindre ouvertement les ordres du grand-seigneur. Sur ces entrefaites, la corvette française l’Arabe[2] débarqua à Parga des provisions de guerre destinées aux Souliotes. Ce secours inattendu, qui fit renaître la confiance et l’espoir dans la montagne, devait cependant contribuer puissamment à sa perte. Ali-Pacha, toujours fidèlement servi par ses espions, ne tarda pas à être informé du motif qui avait conduit la corvette française à Parga. Il comprit aussitôt tout le parti qu’il pouvait tirer de cet incident, et se hâta d’expédier des courriers à Constantinople. Il annonça au divan que les Français, appelés par les Souliotes, venaient de débarquer subitement en Épire, qu’ils apportaient des caissons de poudre, des canons, un arsenal complet, qu’ils allaient appeler la Grèce à l’insurrection, et qu’enfin l’empire touchait à une commotion terrible et peut-être fatale, si on ne la prévenait par une prompte répression. Ali eut soin de joindre à ses accusations et à ses conseils de fortes sommes d’argent destinées aux principaux membres du divan. La Porte, prompte à s’effrayer et peu soucieuse d’approfondir les faits, répondit au vizir par un firman qui lui donnait pleins pouvoirs pour exterminer les Souliotes, devenus indignes

  1. Ἡ Νέα Πάνδωρα (Hê Nea Pandôra), intéressant recueil littéraire qui se publie à Athènes deux fois par mois. Voyez les livraisons de septembre 1857.
  2. Pouqueville, Histoire de la Régénération de la Grèce, tome Ier.