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lui dans le fort de Kounghi, décidés à s’y défendre jusqu’à la dernière extrémité. La sœur de Photos, Chaïdo, digne fille de l’héroïne Moscho, ne tarda point à les y rejoindre. Cependant Tsavellas fut invité à se rendre au conseil, qui avait eu soin de se rassembler sans lui, afin de discuter librement la clause qui le concernait. Il parut, ignorant ce qui s’était passé, car nul n’avait encore la force de lui annoncer la vérité. La tristesse et l’émotion publiques, l’attitude mystérieuse et le silence de la foule à son approche lui inspirèrent de sombres pressentimens. L’embarras et la consternation qui se peignirent sur la figure des gérontes à son entrée dans la salle, l’absence de l’intrépide et fidèle Dracos, qui, n’ayant pas voulu voter l’exil de son ami, s’était jeté sur les pas de Samuel, par-dessus tout la présence de Christos Botzaris, révélèrent confusément au jeune chef un grand malheur. Il attendait debout qu’un mot l’éclairât. Toutes les bouches étaient muettes, nul ne se sentait la force de parler le premier. L’un des capitaines se leva enfin, et d’une voix mal assurée lui révéla la triste vérité. Tsavellas, frappé de stupeur, ne répondit pas. Sa résolution fut bientôt prise. Comprimant les tortures de son cœur et s’efforçant de dissimuler l’horrible douleur qu’il ressentait, il dit avec un accent plein d’une mâle douceur : « Je partirai. Après avoir tant de fois cherché la mort dans les combats et tant de fois versé mon sang pour la patrie, je ne veux pas compromettre aujourd’hui son salut par ma résistance; mais au nom du ciel gardez précieusement le dépôt sacré que je vous confie : la patrie et la liberté ! » Puis il sortit brusquement et se dirigea vers sa demeure. Ses parens et ses amis le suivaient en gémissant. Quant à lui, il marchait d’un pas calme et adressait de temps à autre à ses proches une parole d’espérance et de consolation ; quelques larmes glissaient furtivement sur sa rude et mâle figure.

Arrivé devant sa demeure, Photos en ouvrit la porte, et d’un geste impérieux arrêta sur le seuil ceux qui le suivaient. Il pénétra seul dans l’intérieur. Tous avaient compris qu’il lui fallait quelques instans de religieuse solitude pour dire librement adieu à l’antique foyer de sa famille, et pour prier une dernière fois devant les saintes images au pied desquelles ses pères s’étaient agenouillés depuis plusieurs siècles. Tout à coup un bruit sourd se fait entendre, une épaisse colonne de flammes et de fumée crève le toit de la maison : au même instant. Photos sort, le visage couvert d’une mortelle pâleur. Prévenant toutes les questions, il s’écrie : « Il ne sera pas dit que les Turcs auront jamais mis le pied dans la maison des Tsavellas! » Puis, désignant du doigt le village de Chorta, dont les chaumières, vivement éclairées par les rayons du soleil couchant, blanchissaient non loin de là, comme des marguerites, au sein d’une alpe verdoyante, il ajouta : « C’est là que je me rends; je veillerai