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italiens. Le Piémont, se défiant du pape, qui inclinait à une réaction, pressentant que le ministère Rossi ne serait pas de longue durée et ne voulant pas s’exposer à avoir bientôt pour allié un pape absolu ou une république, eut le tort de prendre trop d’ombrage du mauvais état des affaires romaines et de se refuser à la ligue proposée. M. Rossi formait d’excellens projets; il voulait entourer Pie IX de l’élite des citoyens, le soustraire aux influences autrichiennes qui le circonvenaient, conjurer, à l’aide d’une sorte de tiers-état composé d’hommes pratiques, les efforts coupables des deux partis extrêmes qui contrariaient toutes les mesures modérées. Il imposa toutes les propriétés, même celles des ecclésiastiques; il modifia l’ordre judiciaire d’après le régime français; la révolution et la camarilla eurent un instant le dessous. Les prêtres lui portaient une haine sans bornes; la démocratie, moins irritée, lui reprochait pourtant d’avoir menacé Garibaldi, soldat intrépide de l’indépendance, et connu pour son honnêteté parfaite. Au fond, comme il voulait établir sérieusement la monarchie représentative pour le salut des libéraux modérés, il gênait tous les autres, et un coup de poignard vint tirer d’affaire les exaltés de toute sorte qui voulaient pousser toute chose à l’extrémité. A qui appartenait l’assassin? Au parti autrichien ou à la démocratie? Les accusations se sont croisées jusqu’ici sans que la conscience publique ait été éclairée. Quoi qu’il en soit, la joie fut égale chez les uns et les autres; plusieurs démocrates et plusieurs amis de la ligue austro-romaine dirent très haut que cette mort devait être fêtée. Du reste, personne n’ignore que des agens autrichiens furent aperçus parmi les meneurs des démonstrations dirigées plus tard contre le saint-père. Ces complicités, naturelles au point qu’elles pourraient se passer de preuves, si ces preuves n’existaient pas, aboutirent au triomphe éphémère des républicains et à la restauration précaire de l’ancienne servitude[1]. Grâce à elles, les préparatifs qu’on avait faits sur les côtes méridionales de France pour protéger la constitution romaine contre l’Autriche durent servir à installer solennellement à Rome, dans la personne toujours passive du pape, la prépotence autrichienne, que la France n’a pu parvenir encore à détrôner. Ainsi force était restée aux congrégations et à l’Autriche, force était restée aussi aux conjurés de la Jeune-Italie, et

  1. Au risque de multiplier à l’excès les citations, voici encore sur ce triste régime un passage des Meditazioni storiche de Balbo ; « Quant à Rome et à Modène, mal restaurées en 1814, elles furent plus mal gouvernées de jour en jour pendant tout ce temps (1814-1846); ces deux états inaugurèrent à l’envi les persécutions et les mauvaises polices; les états du pape eurent pour caractère spécial le désordre dans les finances, les occupations étrangères et la perte de la dignité sacerdotale par suite de l’intrusion du régime ecclésiastique dans les affaires des laïques. »